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NOV 15

Encore allongé

 Je vais prendre quelques jours de vacances pour aller avec Eva au soleil, c'est son anniversaire, et alors je ne serai pas là pour la séance de jeudi soir, mais je vous paierai bien sûr puisque c'est la règle, même si c'est abusif, je trouve.

J'ai dit ça comme ça, d'un trait, un peu avant la fin de la séance. Mais cette fois-ci j'ai choisi de lui dire ça encore allongé parce que la dernière fois, je voulais aller à une conférence qui tombait pile poil aussi à l'heure du divan et je lui avais lancé ça debout en partant, face à elle et sur le seuil (cet entre-deux, entre le divan et sa porte, elle dit que c'est un "espace transitionnel" et moi ça m'inquiète un peu cet espace-là parce que je perds mes repères alors). 

Et la conférence c'était avec François Balta, l'un de ceux qui m'a vraiment initié à mon métier. Ce soir-là c'était sur les correspondances entre la psychanalyse et la systémique familiale dans le coaching, et elle je sens bien (enfin je crois) qu'elle aime pas trop tous ces liens que je veux faire avec la psychanalyse ; alors je lui avais annoncé ça au dernier moment pour avoir la paix et surtout pour que ce ne soit pas comme une permission demandée. Tout le contraire ainsi de quand j'étais adolescent et que je voulais aller à une boom ou retrouver mon amoureuse mais qu'à tous les coups c'était Non.

Mais finalement je n'avais pas du tout trouvé la paix dans cette manière de faire avec elle : bien au contraire, ça m'avait rongé de l'intérieur ! Alors la séance d'après, j'avais remis ça sur le tapis, enfin sur le divan, et elle m'avait dit : "Vous avez préféré une conférence sur la psychanalyse plutôt que faire votre analyse". Je m'en suis voulu de lui avoir donné la raison de mon absence. Mais comment faire autrement sans lui cacher ?

Alors là, pour partir en vacances avec Eva, je choisi de le dire sur le divan même si c'est encore plus régressif, plus soumis, je trouve. Mais peut-être que je peux apprendre quelque chose comme ça.

 Quand vous me qualifiez de "psy orthodoxe", vous m'imaginez rigide comme votre mère ; mais on pourrait simplement remplacer cette séance par une autre, elle me dit.

Ça me fait l'effet d'un tsunami tous ces mots avec sa proposition. Je réalise soudain que je ne suis peut-être pas obligé de payer une séance manquée, en tous cas pas cette séance-là. C'est bizzare, parce que d'habitude elle veut pas du tout négocier parce qu'elle dit qu'une psychanalyse c'est deux séances par semaine, allongé, et que c'est pas de la négociation ! Mais sa proposition de remplacer la séance par une autre me semble vraiment pire : si j'accepte ça, je vais devoir la voir trois fois dans la même semaine !

C'est peut-être sa manière à elle de m'imposer ce que j'ai réussi à refuser jusqu'ici : passer à trois séances par semaine. Je risque d'y prendre goût, avec une dépendance encore plus forte alors et puis avec plein d'effets sur mon inconscient sans doute. Parce que de ce côté-là, maintenant, je suis assez lâché je trouve. Je crois que je préfère la payer et garder ma liberté.

 Vous imaginez peut-être que vous serez sous mon emprise alors, comme sous l'emprise de la mère ! Elle ajoute ça parce que ça fait près d'une minute que je ne dis plus rien. Et c'est comme si elle lisait dans mes pensées, là !

 Oui, c'est exactement ça. Je vais réfléchir, je lui ai dit. Et puis je suis parti en vacances au soleil.

Et pendant ces vacances-là, il y a eu tous les massacres et les tueries à Paris.

***

Photo : Un rocher sur une plage de Setubal au soleil. Parce que dans ma tête c'est un peu comme ça aussi parfois (comme le rocher, je veux dire).