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AOU 18

Casse-gueule

Sur Instagram elle s'appelle « bohaime » et comme Ava, l'héroïne de Casse-Gueule, c'est une très jolie jeune femme. Un peu comme une princesse russe. Mais sans chichis. 
Enfin, Ava était très jolie juste avant de se faire casser la gueule. C'était à l'heure bleue par un inconnu avec un poing américain et dans la cour pavée d'un immeuble parisien, là où elle fait du Yoga. Mais c'est alors comme une libération pour elle. Et elle ne va pas en rester là.

Ce roman-là de Clarisse Gorokhoff – c'est son nom dans la vie réelle et Casse-Gueule est son deuxième roman – j'ai absolument voulu le lire après une interview de l'auteure sur France Culture. C'était au début de l'été et sur le thème : « Le visage est-il la capitale de l'identité ? » Parce que son roman commence sur les traces de Lévinas : « ... il y a dans le visage une pauvreté essentielle, écrit Emmanuel Lévinas dans Éthique et infini ; la preuve en est qu’on essaie de masquer cette pauvreté en se donnant des poses, une contenance. »
C'est aussi sur la question des apparences et de la beauté, la beauté stéréotypée, instagramée, filtrée, transhumanisée : « Car le beau n'est rien que le premier degré du terrible. » C'est de Rilke ces mots-là et en incipit du roman.
Ce qui m'a surtout accroché c'est comment cette jeune auteure laisse libre cours à ses fantasmes : la violence, le sexe, la destructivité, le chaos... dans le couple, en famille, en société... Sans aucune censure visiblement. Alors c'est comme un coup de poing américain. À chaque page et jusqu'à la fin. Même les moments érotiques sont volcaniques. Parce que Clarisse 
Gorokhoff, enfin Ava, aime beaucoup les volcans.

C'est comme si l'auteure avait posé sa table d'écriture dans une province très reculée de son âme ou simplement au beau milieu de son inconscient. Les gens appellent ça la part la plus sombre, la plus primitive de l'homme et puis ils cherchent à la réguler ou la fuir. À se fuir. À coup de séances de Yoga ou de méditation mais c'est toujours là au fond. Oui, depuis la prime enfance. Et prêt à surgir, comme un volcan. Alors mieux vaut aller y voir de plus près ou bien écrire comme ça, sans chichis.

J'aime aussi savoir que Bohaime est "life coach" – c'est dans sa bio Instagram – car j'imagine que ceux qu'elle accompagne sont en prise directe avec leurs fantasmes et leurs pulsions. Et plus libres ainsi sans doute.

Une auteure d'exception à découvrir et à suivre. En tous cas, moi je vais lire aussi son premier roman qui s'appelle « De la bombe ».

Sur France Culture avec Etienne Klein : La conversation scientifique.

Un extrait de Casse-Gueule :
« J’étais belle oui, oui, mais d’une beauté qui suscite l’angoisse. Les traits fins, taillés à la serpe, de grands yeux sombres avec des éclats gris, un teint glabre mal assorti à la vie, un sourire tourmenté sans la moindre trace d’enfance… Belle à se noyer dans le néant. Je n’ai jamais pu échapper à ce que mon visage évoquait : la tragédie. C’est leur infini désespoir que les autres projetaient sur moi. Ils voyaient dans mes traits un prélude à la fin du monde. »

Clarisse GOROKHOFF - CASSE-GUEULE - Collection Blanche, Gallimard - Mai 2018

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