15
DéC 18

Passer aux électrochocs

Ça commençait bien pourtant. C'était cet été. J'étais enfermé dans un ancien couvent transformé en centre de méditation. Et deux experts de la pleine conscience m'avait attrapé pour me passer à la question ou à tabac. Oui, à cause de mes pratiques et aussi de mes cours à la fac pour les coachs. Tout ça parce que c'est trop tourné vers l'inconscient et les pulsions. Ça encourage selon eux les plus bas instincts chez les humains que j'accompagne.
Et donc, pendant l'interrogatoire, j'évoquais des morceaux de mon roman familial et je tricotais ça avec des histoires de coach. Pour essayer d'illustrer les répétitions inconscientes, le destin des pulsions.
Mais, à un moment donné, j'ai commencé à patauger. Oui, après vingt-quatre heures sous observation, les deux experts devaient décider s'ils me passaient à l'EMDR ou aux électrochocs. Ils appelent ça la convulsivothérapie. C'est pour effacer les affects dans les souvenirs traumatiques. Et mieux vivre ainsi.
Et c'est pour ça que j'ai calé, je pense. Je me suis perdu dans la peau de mon personnage. Oui, comment vivre sans la trace de ses souvenirs, je me demandais.
Alors, j'ai mis tout ça de côté. Pendant un ou deux mois. Mais, depuis plusieurs jours, je ne sais ni comment ni pourquoi, j'ai trouvé une nouvelle trame. Plus naturelle. Sans fiction. Ça s'appelle « Les dessous du coaching ». Et ça tisse ensemble de simples scènes de la vie quotidienne avec des vraies brèves de coaching et des instants sur le divan. Au fil des lettres de l'alphabet.

Et, là, un extrait en primeur.

LES DESSOUS DU COACHING.   C comme #CHAMAN

Aujourd'hui vous avez posé du rouge très rouge sur vos lèvres et vous avez ajouté du blond dans vos cheveux. Tout ça peut-être parce qu'une fois vous aviez dit en passant « quand on devient mère on n'est plus vraiment femme ! » Et moi alors je n'avais pas laissé passer ça. Non, parce que finalement ces mots-là ils ne sont pas de vous, c'est votre mère qui vous dit ça souvent. Vous l'avez prise au mot et peu à peu c'est comme si la mère avait effacé la femme.
Je vous demande si c'est pour ça le rouge sur vos lèvres aujourd'hui ? Vous dites oui mais aussi parce que vous attendez une bonne nouvelle : ça marche pour le bébé finalement ! Oui, vous attendez le deuxième. Je me souviens que, pour vous, il n'y a pas de rapport entre le corps qui fait parfois des siennes et la vie d'âme, mais un beau jour, en même temps que tout le protocole de procréation artificielle qui ne marchait pas, vous êtes allée voir ailleurs. Oui, vous avez fini par consulter un magnétiseur ou un chaman mexicain, je ne sais pas très bien. Et donc ça marche. Personne ne saura jamais comment tout ça s'est décoincé au fond. Si ce désir d'enfant c'est bien le vôtre.
Et cette séance-là aujourd'hui ce n'était pas vraiment prévu. Non, ce qui était prévu c'était une réunion à la fin du coaching pour faire le bilan avec votre nouvelle boss et la DRH. Mais, comme vous vouliez que je vous dise tout ce que je pense de vous, que je vous donne enfin du feedback, moi je vous ai dit de la faire entre vous cette réunion-là, entre vous trois. Et vous avez dit oui parce que ça vous fait une heure de plus ici.
Alors là, vous faites un peu le bilan, par vous-même, vous racontez que vous parlez un peu moins à votre mère à présent et vous prenez beaucoup de plaisir à ne plus vous laisser faire par le manager qui vous torturait. Vous aimez beaucoup le torturer à votre tour. C'est très excitant et même jouissif, vous dites. Oui, c'est souvent comme ça dans l'inconscient, je dis, tout se retourne et se mélange. Mais quand vous vous entendez dire ce que vous dites vous n'aimez pas trop parce que c'est quand même ambigu toute cette excitation. C'était votre question du début ça, savoir si vous aviez le syndrome de Stockholm, si vous étiez amoureuse de votre bourreau. Je vous demande si vous avez déjà été amoureuse comme ça, d'un homme qui vous faisait plus ou moins mal. Et vice versa. Je repense à votre prof de patin à glace qui vous donnait une tape sur la tête ou sur les fesses et vous me parlez d'un autre, plus tard. Mais ça n'a pas duré longtemps.
On va s'arrêter là, je vous dis, et ça vous surprend. Alors, ça s'arrête vraiment ? vous me demandez. Oui, c'était prévu comme ça.

***

Photo : Fenêtre dans la cellule de l'ancien couvent des experts de la pleine conscience.