07
JUN 22

Me garer ou me barrer ?

L'autre jour – enfin l'autre nuit – j'ai fait un rêve qui est resté pas mal de temps dans ma mémoire vive. Oui, avec deux mots qui, côte à côte, faisaient une drôle de rime : la berge et la barge.
Un rêve phonétique en quelque sorte. C'était la première fois. Et tout ça parce que je cherchais une place pour garer ma Simca au bord d'un cours d'eau. Un canal ou un fleuve, je ne sais plus trop. Sur une sorte de berge en tout cas. Oui, je partais en voyage en avion, alors je voulais laisser la voiture là, plusieurs jours. Et je connaissais bien cet endroit-là visiblement, mais il y avait maintenant des bateaux de chantier. Des barges justement. Avec des grues dessus, des porte-conteneurs comme dans un port de commerce.
Il faut dire que cette image des grues ne m'est revenue qu'après coup, quand j'ai raconté ce rêve sur le divan. J'ai trouvé ça bizarre. Un effet du transfert sur ma psy j'ai pensé. Oui, les histoires qu'on se raconte changent avec qui on les raconte mine de rien. C'est comme les cartes postales de vacances – même si ça ne se fait plus – t'écris pas exactement la même chose à ta grand-mère et au voisin qui s'occupe de ta carpe koï. 

Bref. Entre la berge et les barges, juste avant de prendre l'avion, j'étais dans un conflit : me garer ou me barrer ? Ces deux mots-là aussi, côte à côte, faisaient aussi une sorte de rime, comme du slam. Et tout ça a finit par me réveiller. 

Je ne savais pas trop quoi penser de ce rêve-là parce qu'il collait trop au réel. Oui, Eva et moi on était vraiment parti en voyage, à Madrid, alors j'avais laissé la Twingo pas loin d'Orly grâce à prendsmaplace.fr. J'aime bien le nom de cette appli, comme une provocation ou un paradoxe. C'est un site de rencontre en quelque sorte. Des rencontres éphémères entre des gens qui ont un parking libre et d'autres qui cherchent à se garer malin. Mais il n'y avait pas de trace d'inconscient là-dedans. 

– Ça vous évoque quoi la grue ?

C'est ma psy qui a repris ce détail du rêve oublié à mon réveil. 

Jusque là, elle avait fait plutôt dans l'hyperréalisme. Ici aussi c'est un chantier elle disait. Et un voyage. Oui, bien sûr, l'adresse du rêve est aussi celle du psy, surtout les rêves de vacances sans doute, mais j'ai l'impression qu'elle fait ça quand elle ne sait pas trop quoi dire. Et elle en avait rajouté quand, à un moment donné dans le rêve – je n'en ai pas du tout parlé ici – une autre voiture était derrière moi. 

– Moi aussi je suis derrière vous, elle avait pointé. 

Ça marche à tous les coups son affaire mais je ne voyais pas ce que ça apportait à ce stade. Sauf à me mettre la pression parce que ce n'est pas très agréable d'avoir quelqu'un derrière soi, comme ça, pendant trois quarts d'heure. 

Et donc je ne savais pas trop quoi penser de la grue. Par contre je suis revenu à l'histoire des barges. Ce mot-là m'a fait penser à bargot. Oui-oui, elle a murmuré, un peu comme pour dire c'est pas faux. Et pareil pour mon envie de me barrer plutôt que me garer. On dit de quelqu'un qu'il est barré des fois. Alors peut-être que j'avais encore peur d'être plus ou moins fou.

J'avais l'impression que c'était bientôt la fin de la séance mais ma psy m'a lancé un truc étonnant.

– Vous auriez pu prendre la barge.

Ça m'a fait l'effet d'un reset ou d'un reboot dans ma tête cette manière-là de voir. Comme s'il y avait dans les rêves une issue cachée à nos conflits, à l'indécidable. Oui, je pouvais prendre l'eau, enfin la voie de l'eau, une barge. Avec ou sans la Simca d'ailleurs.

Le lendemain, j'ai repensé à la grue et c'est là qu'un truc plus ou moins sexuel m'est venu comme si quelque chose s'était décoincé au fond. Oui, une image phallique : se dresser, s'ériger... 

– Rester ou partir, c'est aussi une question pour l'amour a ajouté ma psy derrière moi. 

Je ne sais pas trop si elle pensait précisément au sexe ici ou bien à la relation amoureuse en général. Je ne lui ai pas demandé.

***

La photo, là, c'est une exposition dans le Palais de cristal à Madrid. « Against the extravagance of desire ». Carlos Bunga. Une sorte d'anarchitecture.