25
OCT 09

La femme à venir

Il est des livres des écrivains dont on tombe amoureux. Beaucoup. Passionnément. A la folie !
Alors, comme la dégustation verticale d'un vin rare et de ses millésimes, le jeu gourmand est de se laisser glisser entre les pages et les lignes de ses romans. Et s'abandonner à l'imaginaire de l'auteur, écouter la musique de son âme
entre les mots et ainsi se rencontrer soi.

Après « La folle allure », découvert dans une maison d'été et de pierre, j'ai aimé savourer un autre roman de Christian Bobin : « La femme à venir ».

 

Un extrait :
« Que reste-t-il de cet été, du dernier été de la maison bleue. Peu de chose. Du bonheur répandu sur les chemins, dans les cheveux. Des poussières du bonheur qu'on retrouve dans le lit au matin. Des éclats de paysage, des reprises de lumière. Car le chagrin, quand il vous prend, ne vous consume pas toute. C'est même ce qu'on pourrait lui reprocher, au chagrin. De ne pas tout envahir. D'un seul coup, une bonne fois. D'oublier quelques fleurs simples, dans un coin du jardin dévasté. La douleur comme l'amour sont de mauvais ouvriers. Ils ne savent jamais entrer dans l'âme jusqu'en son fond. Mais y a-t-il un fond. » p. 79


Christian Bobin a le talent de glisser des contes ou des fables entre les pages de ses romans. Voici l'un de ces récits enchâssés :

« C'est l'histoire d'un ange triste. Il marche depuis toujours dans un jardin. Le jardin est immense, sans clôture. Les herbes sont des flammes. Les pommiers sont en or. Quand on croque un fruit, on se casse une dent qui repousse aussitôt. De temps en temps, l'ange hausse les épaules, perd quelques plumes, soupire profondément : toujours la même chose, quel ennui. Il décide de partir à l'étranger, sur la terre. Oh, pas longtemps. Un siècle ou deux. Il choisit le moyen de transport le plus rapide : le chagrin qui, du ciel à la terre, chemine à la vitesse de l'éclair. Il voyagera donc dans une larme. Le voilà sur un nuage, quelques instants avant l'orage. La descente commence, il s'évanouit. Il se réveille. Devant lui, un bout de pré sec, sans herbes. Il est dans l'œil humide d'un cheval qui s'ennuie de son sort, qui rêve des pâturages éternels, immenses et sans barrières. Des promeneurs regardent l'animal maigre. Ils se moquent de la pauvre bête qui avale une pomme pourrie et accroche, aux branches de l'arbre, ses deux ailes déplumées dans le dos. » p. 24

La femme à venir, Christian BOBIN, 144 pages, Editions Gallimard (1990), Collection Folio (1999).

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