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MAI 10

Rencontre avec Eva Matesanz


La première fois, elle m'a proposé de nous rencontrer à l'heure du thé, au cœur de la vallée verte où elle habite aussi. SurEpris par sa manière de choisir ainsi le moment et le lieu, je me suis laissé faire un instant. « Juste un instant » ai-je pensé alors. Et j'ai découvert qu'elle aimait aussi écrire, peindre, ajouter des fleurs à ses robes...

C'était cet hiver et, depuis, Eva a créé son blog et plusieurs hubs sur Viadéo ; elle réunit autour d'elle des coachs, anime des groupes de pairs, des conférences...
Et je l'accompagne en supervision ou, plutôt, c'est elle qui m'accompagne dans l'art de changer les règles établies, de déplacer les frontières, de bousculer les cadres, de confronter les tabous du peuple coach !
Rencontre singulière et auto-psy à quatre mains d'une relation chahutée et créative.

André : Ton prénom m'évoque le jardin d'Eden, l'arbre de la connaissance et « la première femme ». Il signifie aussi « donner la vie » en hébreu. Notre prénom porte l'intention de ceux qui nous donnent la vie. Et toi, quel sens donnes-tu à ton prénom ?

Eva : C'est tout simple… J'entends Et va… C'est aujourd'hui, quand j'ouvre la marche vers mes prochaines années, que j'entends cet élan, cet appel. Et je vois l'image de l'enfant qu'on relâche ou se défait d'une emprise, de ses soutiens… Et, sans tarder, j'agis : quelques pas plus loin, l'enfant, qui se découvre femme, se prend déjà les pieds dans ses lacets !
Elle était tenue mais ses lacets n'ont jamais été bouclés. Et cela l'amuse, et cela l'enrage, et cela la désespère, et cela l'encourage. Et (elle) va… Elle va vers elle, avant tout, et vers les autres, et souvent ce sont eux qui viennent à elle. Le mouvement est mouvement de balancier. Et nous, des funambules de la vie.
Et cela fait écho ce que tu évoques : Jardin des Délices, conscience de l'éphémère… Arbre du Bien et du Mal, ambivalence du réel… Femme originelle, qui enfante l'humanité, alors qu'elle n'est que côte d'Adam : cruelle dépendance, élan de liberté par la générosité…
Eva, Evita… Et va, Et Vita Et va… pour quoi ? vers quoi ? Vers la Vie…

André : Tu m'as écrit un jour ton envie de m'aider aussi à sortir de ces lieux que je choisis toujours blottis au creux des impasses, comme un « ventre maternel » et symbolique. La supervision serait-elle pour toi un espace pour investir ton désir d'accoucheuse ou de psy-coach ?

Eva : Cela peut donner à croire que je suis quelque part entre, d'un côté, la maïeutique de Socrate avec son questionnement inlassable qui réduit à néant toute construction mentale, bonne ou mauvaise… Et, de l'autre côté, la distance glaciale de Freud qui couche ses patients sur le divan, dos contre lui, pour ne pas subir leur regard. Comme tu le sais, je questionne peu, je plonge dans le regard de l'autre et je l'accueille dans le mien qui n'est noir que de loin ! Mon désir est désir d'accueil de l'autre. Pour qu'il renaisse à lui-même, s'il le veut ! Et parce que cela me régénère aussi. Cela oui, je peux l'affirmer, même si cela ne va pas sans risque !

André : A côté de ce désir d'accueil, tu m'as confié que se jouait aussi, parfois, tout l'opposé dans notre relation : comme « un combat de titan ». Qu'est-ce qui, chez moi, réveille cette envie du rapport de force en toi ? En quoi cela te nourrit aussi ?

Eva : Je prends conscience que la renaissance passe en effet par la traversée de deux phases : l'accueil d'abord, puis l'expulsion et la délivrance.
Pour avoir vécu l'accouchement naturel de mon enfant, je reconnais ici cette envie d'accoucher dans l'amour inconditionnel de l'être qui arrive et aussi la montée de violence qui surprend jusqu'au bout… et qui se termine en explosion de joie et d'Amour au plus authentique de soi. Ceci a dû se produire à ma naissance et se produira pour les femmes que j'ai enfantées.
Et cela me fait penser que c'est aussi à partir de là que commence le travail avec le client, avec la parole. Après l'enfantement, de l'infans (sans parole), l'accompagnement de l'autre singulier dans son développement vrai.
J'accepte donc, finalement, de me poser sur la ligne que tu dessines, au double trait d'accoucheuse et de psy-coach…

Quant à la question de pourquoi, avec toi, je me suis laissée aller très vite à ce rapport de force, je me suis dit que tu tiendrais le choc ! J'ai horreur d'écraser des fourmis. Et comme je te l'ai dit quand tu as parlé de rivalité entre nous et que je l'ai assumée : pour qu'il y ait rivalité il faut de l'égalité dans le rapport de force, sinon c'est de l'abus.
J'aime et je sais être protectrice, on l'a compris. Mais je sais et j'aime aussi, plus que tout, dès que je peux, entrer en compétition. Une compétition saine dont les participants sortent grandis, quoi qu'il arrive. C'est pourquoi je suis attirée et te propose volontiers le reverse mentoring. Relever le défi en tant que coach toute fraîche de coacher un coach confirmé est une épreuve musclée et sensible à la fois. Et le renouveau vient aux deux.

André : Pour apprendre le métier de coach, tu as choisi de cheminer avec quelques confrères sur le mode du compagnonnage ; pourquoi ce choix à l'écart des universités et des écoles ?

Eva : J'ai commencé à pratiquer très rapidement, en parallèle de formations institutionnelles. J'ai appris l'historique de l'accompagnement et « le folklore ambigu de ceux qui sont déjà passés par là », comme le dit Bateson de l'exploration des contrées inconnues, dans Écologie de l'Esprit, qui s'applique aussi à la découverte de l'Autre. Et je suis vite revenue à mon essence, à ma force et à l'envie de partage vivant, en compagnonnage, oui !
C'est le compagnonnage qui m'a aussi choisie ! J'ai démarré des formations mais j'ai surtout suscité des rencontres… Avec des clients, très vite. Avec des coachs, par toutes les voies : mail, téléphone, face à face quand je parviens à les faire craquer… Entre coachs en herbe. Avec des coachs confirmés, qui, plus ils avancent, plus ils se cherchent, pour mieux trouver l'Autre…
Au bout d'un moment, la formation choisie m'enfermait plus qu'elle ne m'enformait (mettre en forme). J'ai exploré d'autres formations. Le phénomène du système fermé, bien trop mûr à mon goût, peut-être parce qu'à mûrissement accéléré, « en serre », semble se confirmer. Je remercie très sincèrement les écoles qui m'ont accueillie. Le socle est là et j'en ai fait une catapulte pour aller dans le monde et pratiquer, pratiquer, pratiquer. Avec des clients, en supervision individuelle, en groupe d'échange de pratiques, lors d'échanges sur la terre et sur le web.

André : Désir d'accoucher ou de confronter ton superviseur ; besoin de cheminer à parité avec des maîtres choisis. Autant de postures qui éloignent aussi de l'expérience de se laisser guider, du plaisir de se laisser porter ?

Eva : « Parce qu'elle porte le monde… » comme le dit la chanson. Justement, envie plutôt aujourd'hui que le monde me porte. Mais je choisis mon attelage et, pour cela, la course de chars à la Ben-Hur m'exalte ! C'est vrai. Prenant le contre-pied au drame biblique, deux « ennemis » deviendraient ainsi amis, au plus profond d'eux-mêmes, après ce frottement initiatique. Ensuite oui, confiance absolue, et plaisir de se laisser porter…

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Le blog d'Eva : http://vous-et-voies.com