31
MAR 16

Tenir le fil, ensemble

Mission insatisfaisante ? ❞ C'est ça qui vient juste après la question de "la plus grande réussite" pour le dossier de référencement coach

Et là, c'est bizarre, je n'ai pas besoin de faire le malin et un détour par un QCM. Sans doute parce que ça m'évoque tout l'imparfait du subjectif et mes affinités avec les "métiers impossibles" – Gouverner, éduquer ou soigner – impossibles car "garantis d'emblée d'un succès insuffisant", disait Freud.

Application pratique à la supervision…

"L'insatisfaisant" renvoie pour moi à ma capacité de supporter l'indécidable et l'insoluble souvent, l'imperfection ou l'impossible en séance et après. Et toute la frustration qui va avec alors.
Je supervise des coachs et c'est cette activité-là, exigeante, confrontante et sur le cœur du métier, qui est source de frustrations souvent.
Oui, parce que quand un coach apporte en supervision ses questionnements, sa problématique avec un client – pour prendre du recul et traverser une impasse 
, il rejoue en même temps avec moi ce qui crée son problème. Il répète "incidemment" un mode relationnel qui lui est familier : attraction/rejet, rivalité/coupure du lien, par exemple.

L'enjeu est alors de vivre et traverser ensemble ces difficultés qui se répètent sous des formes multiples et subtiles, au fil des séances, en supervision comme avec différents clients. Oui, il s'agit de "tenir le fil" ensemble pour élaborer, se décaler et assouplir une forme relationnelle, qui semble anachronique et engrammée.
Mais parfois – et c'est quand surgissent les signes avant-coureurs d'un changement , il arrive que le coach préfère "aller voir ailleurs", à la recherche d'un outil ou bien d'un autre superviseur (comme pour rejouer son histoire alors). Mais le coach c'est lui l'outil et, pour moi, la visée de la supervision c'est de travailler, patiemment et en continu, cet outil-là.

Un exemple ainsi :
Après sa formation à l'école des coachs, cette femme a du mal à se faire connaître, reconnaître et ainsi accompagner de nouveaux clients dans un marché déjà bien saturé. Alors elle veut arrêter la supervision parce que "c'est trop coûteux" dit-elle ; ou suspendre un temps les séances, 
peut-être, le temps d'avoir "du grain à moudre" (comme si la supervision était un moulin alors).

Sur le plan économique cela peut paraître "rationnel" mais l'inconscient se contrefiche de l'argent et du rationnel. Et ici, pour cette coach, c'est faire fi de son histoire intime marquée très tôt par des ruptures de liens essentiels (séparation, rejet, chantage affectif/marchandage…).
Et cesser d'être accompagnée, un moment ou plus, en supervision ou par ailleurs 
(elle a aussi arrêté avec sa thérapeute), c'est peut-être commencer d'arrêter d'accompagner.

Et c'est ça alors qui est frustrant pour moi, c'est d'être témoin d'une répétition familière et massive (la position de témoin est l'une de mes vieilles histoires aussi !). C'est frustrant aussi d'être partie prenante du problème : résister à mon envie soudaine de "marchander" (par exemple, ajuster ou différer le paiement). Et en même temps être partie prenante d'une "solution" : être "le prix à payer" ; tenir ensemble le fil des séances, le fil de la relation, et croire qu'une autre histoire est possible ainsi.

***

Photo : Sur un air de Wabi Sabi ou l'acceptation de l'imparfait, du bizarre, du temps qui passe…