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NOV 17

Méprises et maladresses. Et jeux de transfert

Un mauvais coup de visseuse-dévisseuse sur le doigt quand je répare la pompe à eau dans la mare. Une marche arrière dans un chemin creux de la forêt qui met en accordéon le pot d'échappement de ma vieille Simca. Une bouteille d'eau qui se vide dans ma musette, avec mon mobile au fond… 

Oui, je fais pas mal de bourdes et de bévues en ce moment, avec pleins de conséquences quand même. Et comme j'aime bien lire Freud, toujours, j'ai eu envie de faire ça aussi à Paris 2 : ouvrir la deuxième séance sur le thème "Méprises et maladresses". C'est le chapitre 8 de "Psychopathologie de la vie quotidienne" et c'était vendredi soir pour le master Coaching. Non pas pour faire un truc à la mode, genre "lâcher prise" ou "apprendre de ses erreurs", mais pour continuer sur le fil de l'inconscient, comme un apéritif. Parce que si l'on prend le temps d'y regarder de plus près, dans nos faux-pas du quotidien, dans nos gestes mal placés, il y a toujours un mobile au fond.

Et puis j'ai continué sur les questions de transfert. Oui, parce que la supervision, quoiqu'on en dise, c'est l'analyse du transfert. 

Si vous aimez, j'ai mis à la fin de cette note un court extrait du chapitre "Méprises et maladresses" : une confusion d'un instant, de Freud, entre marteau à réflexes et diapason. Comme une énigme à résoudre alors.

Master 2 - Paris 2 - Supervision en groupe
Séance 2 – 10 novembre 2017


MEPRISES ET MALADRESSES. ET JEUX DE TRANSFERT
Sur le fil de l'inconscient et des associations libres, toujours

1. Quelques rappels et intentions
Voilà ! C'est notre 2ème séance ensemble.
Sur ce fil de huit séances, du tout début à la toute fin du master, ici, même jour-même heure, régulier et engagé, ce fil qui est notre cadre de travail.
Le mois dernier, c'était "A la rencontre de l'inconscient : au quotidien, au tournant, en séance."

Souvenirs d'enfance et souvenirs-écrans ; Tournants de vie : pourquoi venir ou revenir à la fac ? et pourquoi choisir le métier d'accompagner ? Jeux de transfert : juste quelques prémices.

Et tout ça sur le fil des associations libres.

Ce soir : nous allons continuer sur ce fil de l'inconscient et des associations libres.
Avec deux thèmes : le transfert, un pas plus loin que la séance d'avant. Parce que c'est une affaire de liens le transfert : des liens inconscients, familiers ; un mode relationnel singulier ; et un mode d'excitation aussi, de "jouissance" même. Et parce que la supervision, quoiqu'on dise, quoiqu'il en soit, c'est l'analyse du transfert, au fond, toujours. Le transfert du coach qu'on appelle le contre-transfert.
Mais avant ça, les actes manqués, les oublis, les méprises, les maladresses, les ratés du quotidien : tout ce qui semble nous échapper, échapper à notre bon sens, à notre raison, au fil de notre journée…

2. Oublis, méprises ou maladresses. Et associations libres.

Ce n'est pas du tout pour faire genre "apprendre de ses erreurs" ou éviter les prochaines. Non, c'est sur une hypothèse de Freud : un acte manqué, un oubli, une méprise ou une maladresse, c'est la réalisation d'un désir inconscient.
Exemple de Freud : Le marteau à réflexes et le diapason, le diagnostic délicat entre névrose traumatique et affection organique, et une méprise qui en cache une autre… Psychopathologie de la vie quotidienne - page 208.

Notre champ de travail, enfin le point de départ, pour ce soir : ce qui s'est passé depuis la première séance. Ici ou juste à côté. Par exemple, la relation avec votre tuteur ou tutrice, un prof, le côté administratif… Ce qui vous a échappé peut-être ?

▪ Qui a un cas ?

Travail en petits groupes : 3 ou 4 qui se choisissent plus ou moins – transfert oblige –, autour de ceux qui ont un cas.

Celui qui apporte le cas prend la parole et la garde, sur le fil de ses associations libres. Il est attentif aux "accidents" de son discours, ce qu'il veut censurer, ce qui ne semble pas avoir de rapport : « ceci ou cela n'a rien à voir ici » ou bien : « telle chose n'a aucune importance » ou encore : « c'est insensé et il n'y a pas lieu d'en parler ».

Quand celui qui parle sent qu'il a fini de déplier alors il dit "J'ai fini". Même si on ne finit jamais vraiment.
Et alors chaqu'un dans le groupe peut, ou pas, prendre la parole. Non pas sur le contenu mais sur ce que ça lui a fait vivre de particulier cette expérience-là ?

Retour en plénière. Un instant de partage.

PAUSE

3. LE TRANSFERT, un lien, un lien inconscient et un mode de jouissance singulier

Dès l'origine, nous tissons des liens : la mère et l'enfant, l'autre et soi, entre le passé et le présent, entre les frontières, entre tout et son contraire, etc. Nous sommes des êtres de lien, au-dedans de soi (notre perception du réel, notre imaginaire…) et au-dehors : nos relations, familiales, amoureuses, amicales, de travail…
Avec en même temps des ruptures plus ou moins brutales de ces liens. Elles sont nécessaires mais selon comment cela s'est passé, ça laisse des traces, des engrammes, des frayages….
Et vouloir accompagner c'est vouloir faire du lien son métier. La supervision c'est un lieu privilégié pour analyser ces jeux-là : transfert et "contre-transfert".
Travail d'un duo sur un cas en cours ou dans un passé proche :

▪ Qui se sent particulièrement accroché par un client ou collé en ce moment et qui a envie de travailler ça ici ? Et quelques mots sur ce cas.
▪ Qui a envie d'accompagner A ou ce cas-là ou A sur son cas ?
▪ A, par qui voulez-vous être accompagné ?

Travail du duo donc : En associations libres toujours. Celui qui accompagne soutient, plutôt qu'interrompre ou empêcher, les associations...
Et puis retour vers moi : l'après-coup. En mode analyse du transfert de chacun.
Échange avec le groupe.

A suivre. A la prochaine fois. Ce sera le 8 décembre.

***

Extrait : "Psychopathologie de la vie quotidienne" - Sigmund Freud 

c) Sur mon bureau se trouvent déposés, toujours à la même place depuis des années et l’un à côté de l’autre, un marteau à réflexes et un diapason. Un jour je devais prendre, aussitôt la consultation terminée, un train de banlieue; très pressé de sortir, afin de ne pas manquer mon train, je glisse dans la poche de mon pardessus le diapason, à la place du marteau que je voulais emporter. Mis en éveil par le poids, je m’aperçois immédiatement de mon erreur. Celui qui n’a pas l’habitude de réfléchir sur les petits incidents de ce genre, dira sans doute que la hâte avec laquelle je faisais mes préparatifs explique et excuse mon erreur. Quant à moi, j’ai vu dans cette confusion entre le diapason et le marteau un problème que je me suis appliqué à résoudre. Ma précipitation était une raison tout à fait suffisante pour m’épargner mon erreur et, avec elle, une perte de temps.
Quel est donc celui qui s’est le dernier saisi du diapason ? Telle est la première question que je me pose. Ce fut, il y a quelques jours, un enfant idiot, dont j’examinais l’attention aux impressions sensorielles et qui fut tellement captivé par le diapason que je ne pus que difficilement le lui arracher des mains. S’ensuivrait-il que je sois, moi aussi, un idiot ? Il semblerait, car la première idée qui me vient à l’esprit à propos de « marteau » (Hammer) est : Chamer (« âne » en hébreu).

Mais que signifie cette injure ? Examinons un peu la situation. Je suis pressé d’aller voir une malade habitant la banlieue ouest et qui, d’après ce qui m’a été communiqué par lettre, a fait, il y a quelques mois, une chute de son balcon et se trouve depuis lors dans l’impossibilité de marcher. Le médecin qui m’appelle en consultation m'écrit qu'il hésite, en ce qui concerne le diagnostic, entre une lésion médullaire et une névrose traumatique (hystérie). Je suis donc invité à trancher la question. C'est le moment de se rappeler qu'il faut être très circonspect dans les cas de diagnostic difficile. De plus, les médecins ne manquent pas qui pensent qu'on pose trop à la légère le diagnostic d'hystérie là où il s'agit de choses bien plus sérieuses. Mais l'injure n'est toujours pas justifiée ! Or, il se trouve que la petite station de chemin de fer où je dois descendre est la même où je suis descendu il y a quelques années, pour aller voir un jeune homme qui, à la suite d'une émotion, avait présenté certains troubles de la marche. J'avais posé le diagnostic d'hystérie et soumis le malade au traitement psychique; mais je ne tardai pas à me rendre compte que si mon diagnostic n'était pas tout à fait inexact, il n'était pas non plus rigoureusement exact. Un grand nombre de symptômes de ce malade étaient de nature hystérique et n'ont pas tardé à disparaître sous l'influence du traitement. Mais derrière ces symptômes s'en sont révélés d'autres, réfractaires à mon traitement et qui ne pouvaient être rattachés qu'à une sclérose multiple. Ceux qui ont vu. le malade après moi n'eurent aucune difficulté à reconnaître l'affection organique ; j'aurais fait et jugé comme les médecins qui m'ont succédé ; il n'en est pas moins vrai qu'il y avait là de ma part toutes les apparences d'une grave erreur ; il va sans dire que la promesse de la guérison que j'ai cru devoir faire au malade n'a pu être tenue. La méprise qui m'a fait glisser dans ma poche le diapason à la place du marteau pouvait donc recevoir la traduction suivante : « Imbécile, âne que tu es, fais bien attention cette fois et ne pose pas le diagnostic d'hystérie là où il s'agit d'une maladie incurable, comme cela t'est arrivé il y a quelques années dans la même localité chez ce pauvre homme ! » Et heureusement pour ma petite analyse, mais malheureusement pour mon humeur, ce même homme, atteint de grave paralysie contractile, était venu à ma consultation quelques jours avant que j'aie vu l'enfant idiot, et le lendemain.

On le voit, cette fois c'est la voix de la critique à l'égard de soi-même qui s'exprime par la méprise. La méprise se prête d'ailleurs particulièrement bien à cet usage. La méprise actuelle en représente une autre, commise précédemment.

Petite Biblio Payot – pages 208-209