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JUN 18

Tendre et sensuel

« Pourquoi les hommes ont-ils parfois besoin d'aller voir ailleurs ? » C'était l'autre jour, le boss de la poissonnerie qui me demandait ça. Oui, parce que des fois, il lit ce que j'écris ici ou là, et là il doit préparer une conférence sur ce sujet pour son club de réflexion. Un club discret mais pas secret.
« Avec si possible un point de vue plutôt philosophique » il a ajouté.

Alors je lui ai écrit quelques lignes, mais c'est pas très philosophique.

Pour la psychanalyse, enfin pour Freud, l'amour c'est l'alliance de deux courants : un courant tendre et un courant sensuel. Et ces deux courants-là prennent leur source dans notre toute première relation, notre relation à la mère – enfin, celle qui est là dès les premiers instants –, avec alors le peau à peau, le fouissement, la têtée, les carresses... Et tout ça est chargé d'une forme d'érotisme. L'érotisme de l'enfance avec toutes ses nuances.
Mais au fil du temps cette matrice-là, originelle, se place sous le sceau de l'interdit. Et le père est là pour marquer cet interdit, pour séparer, à sa manière : « Cette femme-là n'est pas pour toi » dit-il et il ferme la porte de la chambre.

Et c'est ainsi que, si tout se passe "bien", le petit d'homme en veut beaucoup à son père tout autant qu'il voudrait être comme lui. Mais il voit bien que ce sera pour plus tard et avec une autre. Et c'est vrai qu'une fois devenu grand, il aime découvrir une femme venue d'ailleurs, étrangère. Il retrouve avec elle les émois et les délices des premiers temps, le courant tendre auquel il ajoute tout le courant sensuel, sexuel, l'entre-deux corps qui prend ses sources dans les divins détails des origines. Et d'ailleurs, il retrouve tout ça dans les préliminaires : le peau à peau, le fouissement, et la têtée pourquoi pas, et toutes les carresses, etc. Mais ça reste très inconscient parce que c'était le temps de l'enfance et ça été refoulé.

Sauf que parfois c'est beaucoup plus "compliqué". Il est des hommes qui n'arrivent pas à mélanger les deux courants, la tendresse et le sexuel. Oui, beaucoup se jettent d'emblée dans les bras d'une femme qui, même si elle semble exactement aux antipodes, celle-là leur rappelle quelque chose de la femme première.

Et puis, un beau jour, n'y tenant plus, ou bien quand la femme devient vraiment mère, quand elle fait un enfant, ces hommes-là préfèrent prendre une maîtresse. Et s'en donner à cœur joie et en cachette dans le sexe, avec plein de fantasmes et d'interdits inimaginables. C'est comme ça qu'ils tentent de séparer le tendre et le sensuel. Mais ils retrouvent toujours, mine de rien, les divins détails des origines.

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