L'inconscient ne reçoit pas sur rendez-vous ! Ça m'est venu l'autre jour en Twingo, je roulais sur la D28, ça n'avait rien à voir, mais il y avait pas mal de coquelicots au bord d'un champ de blé, juste avant la moisson. Alors je me suis arrêté un instant pour faire un ou deux clichés. Et c'est cette histoire de sans rendez-vous qui a surgi. Comme ça, tout d'un coup. Sans rendez-vous justement. Les mots d'esprit sortent aussi de l'inconscient, un peu comme des chatouilles.
Et ça m'ouvrait une piste complètement à rebrousse-poil pour la vie – dans mon rapport à la vie inconsciente je veux dire. Il y a bien sûr tous les oublis, les actes manqués, les ratages en continu dans la journée, et puis les rêves de la nuit mais, pour trouver de quoi il en retourne, c'est toujours comme un jeu de l'oie : j'ai besoin de passer par la case divan. Même jour même heure. Sur rendez-vous justement.
C'est pareil pour le contrôle. Vous l'imaginez peut-être, quand on accompagne, on se met soi-même des bâtons dans les roues, on s'embourbe plus ou moins face à l'autre, mais on préfère ruminer contre cet autre-là. Alors qu'il n'a rien à voir avec notre histoire. C'est le contre-transfert comme on dit. Encrypté, insoupçonnable sur le moment. Et donc, « passer au contrôle » si j'ose dire permet de débusquer cette part inconsciente. Mais c'est aussi programmé.
Et ça n'a pas trop de rapport non plus, mais l'autre jour je préparais un mojito et j'observais les différents trucs que j'avais notés sur le tableau noir de la cuisine : Déo en bombe. Syphon à Chantilly. Spray Javel. Perrier bulles. Karcher vapeur. Pulvérisateur rosiers, etc. Ma liste de courses en fait.
– Tu pourrais faire la liste de tes envies plutôt que ce qui manque ! me suggère Eva quand elle voit ce genre de rébus.
C'est bizarre, j'ai pensé, je n'ai pas noté le piment, la toile Émeri, les croquettes pour chats, etc. Et tout d'un coup, j'ai réalisé qu'il y avait un point commun à tout ça : ce sont des histoires de pression. Oui, pour libérer ou projeter toutes sortes de contenus, liquides, crémeux ou gazeux. Avec encore plus de pression ou l'ajout de gaz carbonique.
Tout ça semble évident après coup, mais j'avais écrit chaque chose en son temps ici – une à une, au fil des jours passés je veux dire –, et c'est en m'arrêtant un instant que le lien m'est venu. Sans pression.
Un peu comme sur la D28, au bord des coquelicots dans les blés. Et tout ça parce que je reste obnubilé par la question des pulsions, ce concept à la frontière entre la psyché et le corps. Oui, je m'interroge beaucoup sur la manière de les contenir, de les libérer ou les sublimer. Et alors, sans trop le savoir, ça prend le détour d'objets particuliers qui sont pour moi des sortes de métaphore de la psyché.
Bref. Si je reviens aux questions de contre-transfert, c'est la part d'inconscient la plus difficile à décrypter, je trouve, parce qu'on se laisse croire que c'est l'autre qui nous met la pression. Et je n'en ai jamais parlé tellement c'est cliché, mais mon contrôleur – un psychanalyste très âgé – reste silencieux pendant presque toute la séance. C'est d'autant plus angoissant – selon les situations, les patients avec lesquels je me débats –, que ça se passe maintenant au téléphone avec lui. Ma parole est cafouilleuse dans son silence, pleine de méandres, de ratés. Et aussi de crapauds. Je m'arrête quand j'ai tout dit. Enfin, je crois.
– Oui, continuez ! il me lance.
Je me sens pris dans les cordes, comme sur un ring, mais je vois bien que c'est mon système de censure qui m'arrête au fond. Et c'est comme ça, par surprise, que je finis par tomber sur ce qui me coince par ailleurs.
Alors pourquoi ne pas essayer par moi-même j'ai pensé. Oui, ça peut paraître carrément fou, mais j'ai commencé à parler tout seul. À voix haute. Parce que sinon ça reste une parole creuse ou de la rumination.
Pour ça, il me fallait quand même garder une certaine contenance, recréer une sorte de bulle. Plus ou moins à l'écart du monde. J'ai activé l'appli Magnéto sur mon mobile, branché mon micro et j'ai commencé à faire des audios. Juste quelques minutes. Tout ça dans ma Twingo. Oui, parce que le cockpit ajoute à la sensation d'enveloppe et le voyage crée un état second.
Et donc ça se passe bien aussi quand je suis tout seul. Sans rendez-vous. Je bafouille tout autant, je ne suis pas clair avec moi-même et, je ne sais pas si c'est comme dans un syphon à Chantilly ou un karcher vapeur, mais c'est comme ça que surgissent des histoires anciennes, des bulles qui m'agitent quand soudain je patauge avec ceux que j'accompagne...
CODA : Formulaire de requête en exonération, suite à la contravention de 135 €, le 22 juin 2023, sur la D411 pour « utilisation d'oreillettes au volant » : Je n'avais pas du tout de casque audio ni pour parler à quelqu'un ni pour écouter un podcast ou de la musique. Non, c'était juste un micro-cravate sans oreillettes pour me parler à moi-même, enfin pour me contrôler. Dans l'exercice de mon métier je veux dire.