– Tu sais, t'as pas besoin de chercher très loin pour avoir des nouvelles de ton inconscient !
Je posais sur la table un Gewurztraminer pour accompagner des fruits de mer et quelques huîtres de Bretagne et c'est là que soudain Eva me rappelle mon goût pour les enquêtes. Oui, traquer les zigzags, les ratés ou les dérapages qui me disent ce que je trafique en sourdine. Tout un monde qui fuite, bien à rebours de la meilleure version de moi-même.
L'autre soir par exemple, je me suis vu m'arrêter in extremis devant le hublot du lave-linge, tout au bout de la maison, avec dans les mains deux ou trois bûches fendues. C'était pour le poêle à bois dans la cuisine. J'avais soudain gravement déraillé. Je n'ai pas cherché à comprendre. Enfin pas encore. Et là, c'est visiblement tout autre chose que soulignait Eva. Un versant moins psychopathologique de la vie quotidienne. Moins addict aux bugs du fil des jours.
– Il te suffit de regarder les vins que tu choisis, ajoute-t-elle.
Il est vrai que le nom des choses ici n'a rien d'innocent mais il y a dans les rayons où je fais des emplettes, pléthore de bouteilles. Alors je me laisse divaguer et puis choisir selon plein de signes et de détails qui m'échappent. Le cépage, le millésime, le nom d'un château, la mention vieilli en fût de chêne...
Il faut dire aussi que les vignerons, ou plutôt les marchands de vin, sont maintenant fans de marketing ; ils ajoutent bien des accroches à leurs bouteilles. Des blasons incrustés, des logos et parfois aussi des formes.
L'autre jour, j'avais choisi un champagne Cuvée Premium dans un flacon épais, lourd et ciselé comme une carafe ancienne. Silhouette élancée, courbes sculptées en spirales, comme sortie tout droit d'un cabinet de curiosités. J'avais gobé d'emblée les apparences. Avec en plus un nom particulier : TSARINE.
Ça allait bien pour l'anniversaire d'Eva ce soir-là j'ai pensé. Je pouvais aussi fantasmer que j'étais son tsar.
Bref. Là, pour les coquillages et les crustacés c'était un vin blanc d'Alsace. Vieilles Vignes. 2022. J'ai regardé de plus près l'étiquette, le nom de domaine. Il y avait quand même un bug – deux t au lieu d'un seul – mais c'était un tout autre univers, bien loin de l'imaginaire de la tsarine : Famille CATTIN.
C'est vrai que l'inconscient n'est pas pathogène.
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En photo, là, un alcool de pommes que j'ai aimé choisir au marché d'ici : À la Chèvrerie des Dames Douces. Un autre imaginaire encore, au fil de la vie quotidienne.