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NOV 07

Qu'y a-t-il dans le sac d'une femme ?


La métaphore du deuil est souvent au cœur des démarches de changement et de coaching ; pour guider son client, l'expert utilise ici le modèle d'Elisabeth Kübler-Ross, cette psychologue américaine qui accompagnait les personnes dans les derniers instants de leur vie.
Guider un client
dans le changement avec cette métaphore, c'est parcourir avec lui un "chemin de croix" douloureux, du déni et de l'abattement vers l'acceptation.
J'ai raconté ici comment naissent alors les histoires qui tuent l'envie de changer… Et j'ai partagé ailleurs comment ce modèle nourrit l'illusion de "maîtriser" une dynamique pourtant 100% naturelle, vivante et qui ne se laisse pas faire !
Avant la mort, il y a la vie... Et il y a une autre énergie dans l'art de changer : l'en-vie, le désir, le plaisir...
Quand un client est au contact de son désir, son entourage est chahuté, son coach est déboussolé...
Car il n'y a pas de mode d'emploi du désir ! Il "suffit" de le vivre pleinement, en conscience, le cultiver à sa source... Et si le coach se laisse bousculer, toucher, il plonge alors dans des instants de grâce...

Voici l'histoire d'
Amélie, jeune femme pétillante qui voudrait devenir manager…

C'est un sac en cuir souple, d'une belle facture. Ample, il me fait penser à une besace, un sac de voyage plutôt qu'un sac à main. Il est grand ouvert sur la petite table ronde, entre Amélie et moi. Ma cliente l'a ouvert ainsi, naturellement, pour programmer notre prochain rendez-vous, la deuxième séance dans un mois. Amélie sort un agenda en cuir, elle glisse sa main au milieu des objets, retire un livre, déplace un miroir, un rouge à lèvres…
Je regarde la scène, silencieux et interloqué. Je me sens gêné par cette intimité soudaine. Et surpris de ma gêne. C'est comme si la séance s'était interrompue, brusquement ; comme une rupture du contact.

Notre première rencontre

Je pense alors à notre rencontre : Amélie a la trentaine élégante et pétillante. Elle est l'adjointe d'un manager. Elle postule depuis quelques mois pour devenir manager. Par deux fois, elle a essuyé un refus. Motif de sa hiérarchie : "pas assez de leadership et de maturité !"
Alors, quand elle découvre que plusieurs cadres dirigeants sont coachés, c'est avec une belle énergie qu'elle mobilise son N+2 et bouscule sa DRH !
La jeune femme m'a aussi "chahuté" au beau milieu de notre rencontre : je questionnais les "attentes magiques" – un coach pour trouver un poste, gagner en "leadership et maturité" – et
Amélie, impatiente, m'interrogeait sur mon envie de l'accompagner ! Sa spontanéité me confrontait à ma retenue, mes frontières…

Amélie interrompt ici mon voyage dans le passé :

- Quelque chose ne va pas ?
La jeune femme me regarde avec un large sourire ; et, comme pour répondre à mon étonnement :
- Je cherche un stylo… Mais ça risque de prendre du temps !?
Cette séquence va devenir un moment complice et riche de sens. Nous le baptiserons plus tard "le coup du sac" !
Riche de sens, car cette plongée dans l'intime éclaire soudain ce qui se joue depuis notre rencontre.

Flash back sur la séance
Amélie est venue aujourd'hui avec le désir de "travailler sur son leadership et sa maturité" et ainsi dépasser l'obstacle officiel à sa prise de poste.
Je trouve qu'elle fait déjà preuve de "leadership" ; elle a pris le "lead" de son coaching : organiser la réunion tripartite avec la DRH, informer ses managers de son projet, définir son parcours, quatre séances sur six mois… C'est pour moi le parcours le plus court !
Mais que signifie "leadership" pour sa hiérarchie ? C'est un mot valise du management, comme la "maturité".
Amélie en fait preuve aussi : peu de clients sont clairement au contact de leur envie, dès le début du coaching !
Et, en même temps, je perçois de la candeur derrière sa spontanéité, ses rires… Mais ce sont mes projections.
Je cherche alors à détricoter ce qui résonne pour
Amélie derrière cet étiquetage ? Ou ce qui parle peut-être de l'auteur de ces mots : que projette son manager sur sa jeune collaboratrice ?
Amélie me raconte alors comment son manager lui confie l'animation de challenges commerciaux ; elle aime donner envie à l'équipe, qui dépasse les objectifs ! Et pourtant son manager dénie ses contributions.
Je sens de l'inconfort à parler d'un tiers absent ; le risque est de disqualifier et d'entrer dans un triangle dramatique :
Amélie "victime", son directeur "persécuteur" et son coach "sauveteur professionnel" ! Dans ce triangle, les rôles tournent vite et le jeu se termine toujours mal !
Nous explorons alors une autre piste : son entreprise a du mal à gérer la mobilité professionnelle quand celle-ci est verticale. Difficile alors de "dire oui ou non" à un cadre à potentiel. Certains veulent comprendre les refus répétés à leur candidature, alors un cabinet RH évalue leurs "compétences relationnelles"…
Amélie n'est pas passée par ce "check-up", mais le résultat est peut-être le même : et si la maturité et le leadership étaient un os à ronger pour temporiser ? J'ai partagé ce point avec la DRH, mais nous avons tourné en rond.
Je sens que je patauge aussi avec Amélie sur ce point ; alors j'essaie de revenir avec Amélie dans l'ici et maintenant : Qui est "leader" dans notre relation ? Comment ajouter un zeste de leadership, ici avec moi ? Ce serait quoi le contraire de la maturité ? Mais nous tournons toujours à vide. Et c'est déjà l'heure de clore.

« Quelque chose ne va pas ? »
Je reviens dans l'instant présent. Je regarde Amélie et je prends conscience qu'elle me touche : sa jeunesse, sa spontanéité, son humour, son charme…
Je l'observe plus attentivement, je me laisse prendre à ce charme ; elle est séduisante et, en même temps, elle est dans la séduction. C'est comme si elle en rajoutait ? Je me demande comment réagit son entourage face à elle… Et son patron...
- Quelque chose ne va pas ?
Je réalise qu'Amélie m'a déjà posé cette question, l'
instant d'avant !
Le sac d'Amélie est toujours grand ouvert sur la table ; de nouveaux objets ont fait surface : une brosse à cheveux, des lettres, des mouchoirs…
Ma gêne a disparu et je sens pointer de l'amusement :
- Le sac d'une femme est, pour moi, un espace bien personnel, intime… J'imagine que c'est son jardin secret. Alors, j'étais gêné !
Amélie s'immobilise, elle semble surprise. Après un silence, elle referme son sac, sourit et me demande un crayon.
Je tends machinalement un stylo ; Amélie me regarde, hésite, puis comme un clin d'oeil à ma gêne de l'instant d'avant :
- Un stylo plume est un objet bien personnel ?!
Amélie a touché juste :
- Oui, c'est un cadeau que m'a offert la compagne de ma vie !
Alors, une piste nouvelle, inattendue s'ouvre ici :
- Amélie, tout cela me fait penser au Petit Prince.
- Pourquoi ?
- Il voyage de planète en planète et prend le temps de rencontrer l'unique habitant de chacune d'elle : un roi, un businessman, un vaniteux, un géographe…
- Quel rapport avec moi ?
- Quel rapport avec nous ?! Il est maintenant l'heure de clore, prenons rendez-vous. Et, dans les prochaines semaines, je vous demande de voyager à la rencontre des autres, à la découverte de leur planète. Je voyagerai aussi pour comprendre comment les femmes utilisent leur sac…

 

A la découverte de la planète d'Amélie
Dans les séances qui suivent, je renonce à comprendre, savoir ou vouloir "faire". Il me suffit d'être là, présent à moi-même, à Amélie, à ce qui se présente au présent. La jeune femme arrive à chaque fois avec son désir de changer et une demande. Je l'accompagne pour visiter les paysages ombragés ou lumineux de sa "planète" : elle me confie que se "sentir vivre" est sa manière à elle d'échapper à l'angoisse de mourir... Une peur qui hante
depuis toujours l'un de ses parents à la santé fragile et qui s'est propagée dans sa famille. Alors après son bac, Amélie a gagné son autonomie financière, mené de front des études universitaires et sa vie de femme et maintenant de maman, "bien vivante"... Et Amélie sait aujourd'hui prendre soin d'elle et aussi de l'autre. Autre signe de "maturité" que je souligne à Amélie : la faculté de conjuguer "Je, Tu et Nous" et qui s'appelle "Nous d'alliance" ou "inter-dépendance" sur la planète coach.
Amélie tisse des liens entre le champ professionnel et son histoire de vie : elle incarne un modèle singulier où circule l'envie de réussir avec l'équipe, plutôt que la peur d'échouer...
Je tente ici une piste : comment assumer ce modèle de leadership avec son manager ?
Cette question ne se pose plus pour Amélie ! Car après le "coup du sac", elle a pris le temps de "visiter la planète" de son patron : elle a perçu son inconfort devant la féminité, alors elle évite d'en rajouter !
Des questions d'une tout autre nature émergent. A la 3ème séance, Amélie m'annonce un scoop : elle rejoint "l'Université du Management" ; son n+2 l'a proposé dans ce cursus. Elle rentre de 2 jours de tests intensifs, d'entretiens, de mise en situation avec ses homologues. Et Amélie est sélectionnée !
Je suis profondément ému.
Il y a en coaching des moments de grâce qui me touchent au cœur : ce sont ces instants où mon client semble sortir de sa chrysalide, se déployer, simplement...
Amélie me sollicite ici pour comprendre des situations délicates où, au milieu de ses pairs, elle s'est laissée porter par son intuition. Elle a alors débloqué ces situations, posé des actes qui lui semblaient naturels et qui ont interpellé le jury !
Alors, nous plongeons ensemble ici à la source de ses talents, de sa singularité. Autre instant "sacré" et partagé...

« L'essentiel est invisible pour les yeux »
A la 4ème séance, nouveau scoop : un dirigeant, qui cherche un manager, sollicite Amélie pour un premier rendez-vous.
Je cherche une demande pour notre dernière séance : préparer ce rendez-vous ? Non ! Amélie préfère se laisser faire par son intuition, découvrir une nouvelle planète...
Amélie n'a pas de demande aujourd'hui, juste l'envie de savoir ce que j'ai appris à ses côtés ! Je ne sais plus qui a appris pendant nos quatre séances ! C'est le parcours de coaching le plus court, le plus dépouillé des techniques de coaching et, en même temps, le plus dense et le plus riche.
Enfin pour clore notre parcours, elle pose son sac sur la table, l'ouvre lentement... Elle sort un livre et me l'offre avec son large sourire : Le Petit Prince de Saint-Exupéry.
Voici sa dédicace :
« Comment vous dire merci, si ce n'est avec ce livre. » Amélie a ajouté ces mots du Renard qui dit adieu au Petit Prince : « On ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux. »
Ultime moment de grâce avec Amélie.

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Photo : Le sac des filles - Camille