19
OCT 08

Brutal ? Part 2

Vous avez peut-être déjà lu le récit de la première séance avec Nicolas : ce pro de la conduite de grands projets que sa direction jugeait « trop brutal dans ses méthodes, trop violent dans ses relations ».
Nicolas voulait apprendre avec moi à « arrondir les angles ». Mais j'ai eu peur de lui la première fois : il me faisait penser à un ours et je me sentais bien petit devant lui !
C'est au détour d'une question, quand j'ai craqué, que j'ai aussi découvert sa fragilité.

Le coaching s'est poursuivi entre rebondissement, complicité et confrontation.
Voici la suite de l'histoire.

Trois mois plus tard :
- J'ai pris ma décision

Nicolas marque un temps d'arrêt, me regarde. Je devine une agitation. Il est arrivé en avance aujourd'hui. Je l'ai alors invité à s'installer et j'ai préparé du thé. Il reprend :
- J'ai finalement démissionné

Il m'observe, comme s'il attendait un mot, une question de moi. Mais rien ne vient sauf ma surprise. Nicolas ajoute :
- Je ne fais pas confiance à mon hiérarchique. Je doute de sa compétence, de son soutien dans le changement, dans le passage de l'artisanat à l'industriel. Et, de toute façon, il n'en a pas envie !

La surprise doit se lire sur mon visage. La séance d'avant avait commencé dans le chaos : il y avait le vrombissement assourdissant d'une perceuse dans l'appartement d'à côté. Un bruit continu, insupportable, mais Nicolas restait impassible. J'ai finalement décidé de déménager dans une pièce à l'opposé, minuscule et remplie d'archives. Il s'amusait de ma gêne. Alors j'ai oublié l'inconfort et les apparences.
Nicolas m'a alors raconté comment la relation avec son équipe n'était plus un problème : il faisait alliance avec chacun et voulait tester ça avec les autres managers, clients internes de sa direction. Mais il se fixait sur sa stratégie préférée : les échecs avec son envie de mettre ses adversaires « échec et mat » !
J'ai finalement accepté son besoin du rapport de force : j'ai évoqué le jeu de go, les stratèges de la Chine Ancienne, l'art de vaincre sans avoir à combattre, de se faire accepter pour que l'autre s'ouvre

Interpellé, curieux, Nicolas me questionnait. Je me surprenais à partager ici des techniques que j'utilisais auparavant dans le conseil et que je jugeais manipulatoires ! Mais là encore, je laissais venir sans juger. Et, dans cette pièce exiguë, inconfortable, je découvrais le plaisir d'une nouvelle proximité avec lui.

Nicolas me ramène soudain dans le présent :
- Je me suis questionné sur ce coaching : continuer ou arrêter ?
Je n'ai pas encore parlé depuis le début de la séance, alors il m'invite sans doute à venir au contact. Je réponds du tac au tac :
- Nicolas, c'est votre coaching ! Il vous reste une séance. Vous pouvez clore aujourd'hui : que décidez-vous ?
- J'ai déjà décidé ! Vous semblez passionné par votre métier mais je me demande s'il est utile ou futile ?
La question me percute. Je réalise que depuis notre première rencontre j'évite d'être disqualifié. Pourtant je sais que rencontrer le client dans son scénario familier peut créer du nouveau. Mais ce scénario-là touche mon ego ! Je reprends mon souffle et ne peux que renvoyer la question :
- Vous avez la réponse pour vous.
- Si j'étais devenu comme vous, cela aurait été utile. Utile à l'entreprise ! Mais je ne veux pas me tordre, ni me déformer.
Nicolas m'a déjà confronté sur ma « souplesse ». Mais le débat était resté théorique, centré sur nos approches du changement : créer l'alliance plutôt que la rupture, cultiver les compétences plutôt que provoquer la crise. Alors, cette fois, je m'utilise comme "objet de débat" :
- Vous êtes le premier client qui me parle spontanément de ses projections négatives sur moi. Les comprendre me serait utile : pourquoi revenez-vous vers moi ?
Nicolas semble interpellé un court instant puis réplique :
- Pour votre manière de me faire les poches.
Encore percuté ! J'imagine qu'il parle de notre première séance, de son émotion que j'avais trouvée, de sa peur de la maladie et de la mort. Il sourit et ajoute :
- Vous venez me chercher là où personne ne vient.
- Je vais, avec vous, là où vous n'allez pas.
- C'est aussi de la manipulation ! Je me suis d'abord méfié mais finalement j'apprenais sur moi. Alors je me suis laissé faire !
Nicolas m'observe intensément, comme s'il cherchait autre chose, au-delà du regard. Puis il lâche :
- J'ai aussi deviné votre plaisir dans ce jeu !
Encore déstabilisé mais par la justesse cette fois ! Nicolas nomme ici ce que j'éprouvais sans oser le formuler : le plaisir de découvrir que je pouvais l'amadouer, l'apprivoiser. Avec aussi la sensation de puissance quand une brèche s'ouvrait !
Alors je nomme ce plaisir ambivalent et aussi l'image de l'ours lors de notre première rencontre : un ours puissant qui m'a d'abord inquiété, puis un ours fragile que j'apprivoisais parfois.
Nicolas me confie alors un peu de son histoire : un patron qui le harcelait dans son entreprise précédente ; plusieurs mois de dépression. Il a d'abord essayé de tenir seul avec des anxiolytiques. Et puis, plutôt que « se tordre et se déformer », il a quitté l'entreprise !
Long silence. Il est ému et en même temps apaisé. Je retrouve ce plaisir de la complicité, plaisir de l'intimité avec lui, avec sa puissance et aussi sa fragilité.

Nicolas a voulu me revoir pour sa dernière séance, un mois plus tard. Il avait déjà plusieurs offres de directeur de projet. J'ai partagé mon inquiétude : et si le scénario harcèlement/démission, toute-puissance/dépression se rejouait là bas ?!
Il m'a confié qu'il avait maintenant envie de prendre soin de son équipe. Une manière aussi de prendre soin de lui. Et cela ne l'empêcherait pas de faire grandir cette nouvelle équipe dans des changements ambitieux, bouleversants !
Pour cela, il aurait sans doute besoin d'un team building avec son équipe
mais avec un coach peut-être « moins souple » que moi ?!

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