08
JUI 13

Voler

- Alors, plutôt que sauter du haut du toit et dans le vide, tout comme mes frères, moi, je me suis envolé.
- …
- Parce que c'était bien trop dangereux pour moi ce jeu-là, je lui dit.
C'est un bout de mon rêve de la nuit que j'aime lui raconter, là, ce matin. Parce que maintenant, j'aime rêver et me souvenir de mes rêves. Mais elle reste silencieuse.
- Et puis j'aime tellement voler ! j'ajoute alors.
- Comme si vous aviez un pouvoir magique ? elle lâche enfin, là, derrière moi.
- Oui, j'aime croire que j'ai parfois des pouvoirs magiques. Et, comme ça, mes rêves c'est pas des cauchemars !

Je sais bien qu'elle n'aime pas trop les histoires de magie. En même temps, elle me dit que les enfants ont besoin de ça. Ils ont besoin de croire que l'un ou l'autre parent est un peu magicien, au fond. Moi, c'était plutôt maléfices et sorcellerie, je crois.
Et elle, un jour, je l'avais menacée d'aller voir ailleurs ! Parce que finalement ça finissait par être trop douloureux, son divan. Comme un chemin de croix, alors que je cherchais un chemin de joie. J'aimerais trouver un analyste qui me ferait un peu tourner de l'œil ; enfin, vous savez, un psy qui pratique cette technologie nouvelle appelée EMDR ? Apparemment, elle connaissait pas ! Il effacerait alors mes souvenirs les plus douloureux, j'ai ajouté.
- Oui, tout le monde rêve d'un remède miracle qui effacerait tous les problèmes, elle avait murmuré.
J'avais alors essayé de la brancher ciné (parce qu'elle aime bien aussi les salles noires). Dans Men in Black, il y a des flashouillettes qui effacent les souvenirs ; mais elle connaissait pas ce film-là non plus ! Une psy qui connait pas M.I.B !
Alors là, je continue mon rêve :
- Je me suis retrouvé soudain sur des sentiers très escarpés. C'était tout au bord de la mer.
- Et vous avez volé, alors ? elle me demande ; comme si mon rêve l'intéressait, au fond. Ou bien comme si elle tirait sur un fil encore invisible.
- Non, je n'ai pas utilisé ce pouvoir-là. J'ai continué de galérer, je crois. Tout comme mes frères alors.
- … 
- Voler c'est polysémique, vous savez ?! je lui dis soudain.
- … !
- Et parfois j'aime imaginer vous voler de l'argent ! Enlever un billet, oh ! juste un billet, dans tous les billets que je vous laisse là, sur votre bureau, chaque fois.
- …
- La femme qui a beaucoup d'argent m'a fait ça l'autre jour. Elle n'a glissé qu'un seul billet au-dedans de l'enveloppe en vélin. Cette petite enveloppe sur laquelle elle prend soin d'écrire mes initiales.
- …
- Et pourtant, à la fin de chaque séance, ici, j'ai peur de vous voler du temps. Et c'est pour ça que je pars d'ici en catastrophe ou en douce. Comme un voleur !


Et elle m'a mis dehors. Tout doucement.

***