06
SEP 15

C'est la rentrée !

Je marche sur un chemin de crête derrière la maison de mon enfance. Je marche d'un bon pas parce que la nuit va bientôt tomber. Et soudain, juste devant moi, enfin à 100 mètres, je vois une énorme araignée. Elle est à 100 mètres. Je ne sais pas pourquoi j'insiste sur ça, là, en vous racontant ce rêve, je dis.

– Cent mètres, elle répète derrière moi.

Elle n'a jamais fait ça : me parler un instant au milieu d'un rêve, enfin du récit d'un rêve. Alors je me dis qu'il y a un autre sens peut-être derrière ces 100 mètres. Et comme ici c'est souvent sexe ou violence derrière les mots, j'essaie un instant avec ça. Et ça pourrait être "mettre du sang", parce qu'il y avait pas mal de sang ces derniers jours autour de moi mais, là, ce n'est qu'un jeu de mots et c'est pas dans le rêve.

 

Alors je continue :

– Cette araignée-là est vraiment grosse et elle est en bois. Mais elle ne m'attaquera pas, je me dis. Alors je continue, je ralentis un peu quand même. Et l'araignée se transforme soudain en sauterelle. Ou en cigale peut-être. Je ne sais pas trop la différence. Elle est deux fois plus grosse que l'araignée. Elle est aussi en bois et un peu désarticulée. Elle avance très vite vers moi, alors j'ai peur, je recule et je fais demi-tour.
Je ne sais pas si elle voulait vraiment m'attaquer dans le rêve mais je me suis débattu, j'ai donné des coups de pied mais je frappais dans le vide. J'ai crié, je crois, et je me suis réveillé. Et ça a réveillé Eva aussi. Alors je lui ai raconté mon rêve. "L'araignée, c'est la mère", elle a dit. J'ai trouvé ça un peu court. Je l'ai enlacée et on s'est rendormis.

– 

Elle dit rien.

– Moi, cette araignée-là, enfin une fois qu'elle s'est métamorphosée en sauterelle ou en cigale, ça m'a plutôt fait penser à vous, je lui dis.

– L'araignée c'est la mère, la mère terrifiante, elle dit.

Elle dit comme Eva, je me dis. Comme si j'avais encore besoin de les comparer toutes les deux et de les mettre en rivalité alors. Et elle ajoute de l'horrifique, là.

– Et la sauterelle et la cigale sont des bêtes plutôt gentilles, elle dit.

– Oui, et aujourd'hui, ni vous ni ma mère ne me faites peur au fond. Et c'est peut-être pour ça qu'en m'allongeant , là, tout à l'heure, je vous ai dit que ça me faisait penser à la toute première fois sur le divan avec vous, - enfin, vous derrière et moi devant, je veux dire.
C'était il y a trois ans, et c'était la rentrée aussi, et avant avec vous c'était en face à face. Alors moi, je ne savais pas du tout comment ça se passait le divan. J'étais debout à quelques centimètres de vous, un peu perdu, j'aurais aimé un mot de vous pour être guidé mais vous m'avez lancé : "Alors, vous ne vous allongez pas ?"
Et moi, j'ai entendu : "Allez couché !" Un peu comme ma mère disait à ses chiens parfois :  "Assis ! Fais le beau ! Couché !" Pour jouer ou les dresser. Alors, à cet instant, votre regard m'a un peu terrifié. Il y a des moments comme ça, pour moi ici, où tout se distord soudain : les mots, les sons, le temps aussi… C'est comme un mini-délire parce que ça touche sans doute une zone encore un peu amochée au fond. Mais ça, c'était il y a longtemps !

– Peut-être avez-vous peur de ce que vous allez trouver ici, elle dit.

– Non, j'aime venir ici ! 

J'ai répondu un peu vite là, je me dis. Mais je voudrais savoir ce qu'elle a entendu avec cette histoire de 100 mètres.

– Et là, j'ai envie de revenir sur ces 100 mètres qui me séparent de l'araignée. Je me demande pourquoi j'ai besoin d'insister sur ça. Vous avez vu quelque chose, vous, non ?

–  100 mètres, elle répète simplement. 

–  ?! 

Là, c'est moi qui ne dit plus rien. Parce que je ne vois toujours pas.

– Vous êtes seul face à la mère, elle me dit.

Et c'est là que soudain j'entends tout autre chose.

– Sans maître ! je dis.

Et je pense à mon père soudain. C'était ma quête impossible ça : être un peu avec lui parfois, comme pour sortir aussi du huis-clos. Elle appelle ça le "rapproché du père". Et plein de souvenirs me sont revenus alors. Avec mes maîtresses, enfin avec des profs.
Une fois c'était au lycée, je crois bien. Ma prof de français avait emmené la classe au théâtre pour voir une pièce mise en scène par Ariane Mnouchkine. J'ai oublié la pièce. Et je crois que c'était plutôt un film, Molière, mais je me souviens que ma prof m'avait raccompagné jusque chez moi, dans sa voiture le soir. Et on a parlé longtemps, comme ça, tous les deux dans la nuit. C'était bien mais c'était ambigu aussi, je trouve.

"Une rivale de votre mère !" m'a dit ma psy. Ça je ne sais pas trop mais ce que je sais c'est que, juste avant les grandes vacances, cette prof-là m'avait invité avec quelques autres à une fête chez elle. Mais moi, au dernier moment, j'avais préféré ne pas y aller hélas pour ne pas avoir d'histoires avec ma mère !

"La force de l'attachement" a souligné ma psy ! Le risque c'est que je reproduise cet attachement-là, ici, avec elle, à l'infini, je lui ai dit. Même si je sais qu'ici on l'analyse quand ça se répète, on le détricote, et alors ça se défait petit à petit. "Et un jour, tout ça vole en éclats", elle a dit. Ça c'est nouveau, je me suis dit (parce que moi le divan c'est plutôt l'image du détricotage. Peut-être parce que ma mère avait une machine à tricoter ?!).

Et on continué sur le fil du rêve comme si ce rêve-là je l'avais préparé pour la rentrée. Parce que chaque jour de vacances, enfin la nuit, je sais bien que je rêvais mais j'oubliais tous mes rêves au matin. Parce que j'étais en vacance.

***

Illustration de Joan MIRÓ pour le receuil de poèmes "Le Marteau sans Maître" de René CHAR