24
MAR 16

Trop rangé

Quand j'arrive chez ma psy, je pose toujours mon manteau par terre. Oui, à même le sol, comme ça au pied de son divan.

Et j'ai toujours fait ça parce qu'il n'y a pas de porte-manteau et alors je ne vois pas trop comment faire autrement. Et j'imagine que les autres font ça aussi (j'ai quand même un doute parce que ça fait vraiment bordélique). Mais de là où elle est, je crois pas que ma psy voit tout ce bordel. Même si, au moment où je me déshabille, elle est déjà assise et forcément elle me voit faire.

Me déshabiller, le bordel, et tout ça devant elle, ça paraît un peu connoté, ambigu tout ça, et je fais comme ça aussi quand je vais dormir, j'aime bien laisser tout traîner par terre, mais là c'est pas ça. Non, ça a plutôt à voir avec ma manière de faire quand j'étais enfant. Oui, mes frères et moi quand on était petits, on avait une chambre au dernier étage mais c'est comme s'il ne fallait pas nous habiller et nous déshabiller trop loin de la cuisine. C'était un peu le QG, la cuisine, le centre des opérations et il fallait rester à portée d'œil (je crois qu'on dit plutôt "à portée de vue").

Alors moi, c'est dans la salle de bain que je mettais mon pyjama le soir, à la va-vite pour ne pas être vu derrière la porte entrouverte parce qu'il ne fallait pas fermer la porte non plus. Et mon jeune frère c'était dans le couloir, près de l'entrée et pour lui c'était plus compliqué alors parce qu'il y avait du passage. Pour mes autres frères, je ne me rappelle pas. Tout ça créait de la tension, et un peu d'excitation aussi (oui, à la fois la peur et l'envie d'être vu), mais c'était épuisant à la longue.

Et l'autre soir chez ma psy soudain ça m'a paru saugrenu, absurde, de faire comme ça. Oui, parce que tout d'un coup j'ai vu le fauteuil en face d'elle, à côté de son divan. Et pourtant je le connais bien ce fauteuil, c'est là que pendant plusieurs séances, au tout début, je me suis assis (et je crois que je mettais mon manteau sur le divan alors).
Alors quand j'ai redécouvert le fauteuil, je me suis dit que je pourrais peut-être le poser dessus mon manteau avec en plus, quand il fait froid, mon blouson et mon écharpe (oui, parce que je viens ici en Vélib et je ne veux pas avoir trop froid quand il fait froid).
Mais je ne sais pas trop si ça se fait de mettre mes affaires sur son fauteuil ? Et puis j'aime bien le bordel que je mets au pied de son divan.

Alors je lui ai dit tout ça à ma psy, cette envie que j'avais soudain de poser mon manteau et mon blouson sur son fauteuil plutôt que par terre. Mais c'était bizarre, si je faisais ça ce serait peut-être comme une infraction aux règles de bienséance d'ici.
Évidemment, ma psy ne m'a rien dit là-dessus. De toute façon, je crois qu'elle s'en fout et il n'y a pas vraiment de protocole ici. Et donc elle m'a laissé me débattre avec tout mon bordel dans la tête.

Et c'est fou quand même, parce quand j'étais enfant elle n'était pas vraiment dite la règle qu'il ne fallait pas nous déshabiller dans notre chambre. Mais ça rôdait dans l'air cet interdit-là. Et c'est comme si j'avais recréé avec elle, de toute pièce mais dans la même pièce, mon histoire d'avant. Comme si je me posais un interdit qui n'existait sans doute pas ici
Et ça peut paraître futile d'aller sur le divan pour découvrir des trucs aussi futiles, surtout par les temps qui courent, mais ce détail-là est à l'image de plein d'autres choses de ma vie. Bon ! je n'ai pas passé toute la séance là-dessus, je suis passé à autre chose mais je me dis que ma vie est vraiment compliquée des fois. En infraction ou en liberté surveillée..

Et l'autre soir, quand je suis retourné chez ma psy, je me suis demandé un instant ce que j'allais faire (oui, maintenant je ne prémédite plus trop les choses que je fais). Et finalement je n'ai pas hésité. Ce soir-là j'avais juste mon blouson parce qu'il faisait presque doux et il y avait dans l'air un air de printemps. Et ce blouson-là il est de cuir noir, à la fois chic et usé, bien râpé et déchiré à la manche droite (parce qu'un jour j'ai fait un méchant vol plané en moto et ce jour-là j'ai vraiment failli mourir mais ce n'était pas mon heure). Et la fermeture éclair du blouson est un peu foutue aussi, alors elle se coince parfois et un jour, ça m'a joué des tours parce que quand je suis arrivé je ne pouvais plus retirer mon blouson (j'ai voulu l'enlever comme un pull - par le haut donc - mais la chemise est venue avec. J'étais coincé et ma psy a peut-être cru que je voulais lui montrer mon ventre et je ne sais plus trop comment je m'en suis sorti).

Et donc, hier soir, je l'ai encore balancé par terre mon blouson. Oui, finalement ça a un côté un peu voyou que j'aime bien, que j'aime beaucoup et que je voudrais garder encore un peu malgré la psychanalyse.
Et je me suis dit que j'avais vraiment bien fait parce qu'une fois sur le divan, j'ai regardé un instant son fauteuil, c'est un fauteuil vieux style, genre anglais (et un peu à chier quand même), et je me suis dit que mon blouson sur ce fauteuil-là ça irait pas du tout avec. Ça ferait trop rangé, je crois.

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