Jusqu'alors j'étais vraiment incapable de lire des écrits de Freud. Ça me rebutait.
Mais c'était bizarre parce que j'aime beaucoup, beaucoup, écouter des psys le citer et commenter ses textes. Des psychanalystes comme Paul-Laurent Assoun, J.-B. Pontalis, André Green et bien d'autres. Avec alors le plaisir de leur voix quand ils reprennent et développent sa pensée. Et puis, en retournant à la fac, j'ai bien vu qu'il me faudrait quand même en passer par là, par lire ses ouvrages de référence je veux dire. Parce qu'à la fin du D.U. il y a un examen de deux heures sur toute la psychanalyse freudienne. Mais, depuis, c'est pire, je ne comprends rien. Je fais un blocage.
Alors, un soir, j'ai évoqué ça sur le divan. Sans me faire trop d'illusion parce que je sais bien que ce n'est pas résolutoire la psychanalyse. Enfin pas directement.
Ma psy m'a questionné : "Votre père était dans les livres, non ?" C'était bizarre comme formule, comme image ! Et sur le moment je n'ai pas vu le rapport. Mais je me suis laissé faire, je me suis laissé associer. Et c'est vrai que mon père travaillait dans une librairie, une librairie scolaire. Et donc, à chaque rentrée des classes, il m'apportait tous les ouvrages pour l'école, et puis ensuite pour le lycée. Et, pendant toute l'année, je pouvais aussi avoir les romans que je voulais. Et des recueils de poèmes, Baudelaire, Apollinaire, les surréalistes. Je lui demandais le matin et il revenait avec le soir. Mais, au fond, plutôt que tous les livres scolaires, et même les romans ou les poèmes à foison, j'aurais tellement aimé que mon père me raconte des histoires et surtout son histoire à lui. Et écouter sa voix ainsi.
J'ai aussi repensé à un livre que j'ai gardé de cette époque-là : "Les chants de Maldoror" de Isidore Ducasse, dit Comte de Lautréamont. Je l'avais demandé parce que c'était très noir et sulfureux. Alors j'imaginais que mon père me poserait une limite ou qu'il me questionnerait. Mais non, pas du tout. Peut-être qu'il se faisait mon complice alors (enfin, ça c'est l'un de mes fantasmes). Les pages de ce livre-là étaient comme du papier parchemin et elles sont aujourd'hui encore attachées entre elles. J'ai lu un peu entre les pages.
Dans les jours qui ont suivi la séance, j'ai commencé à remettre mon nez dans un texte de Freud distribué à la fac : "Souvenirs d'enfance et souvenirs-écrans". Et c'était bien. J'ai même démarré avec ça cette année dans le master coaching à Paris 2. Et puis j'ai aussi plongé dans un tiré-à-part de "L'interprétation des rêves", un long extrait autour du "rêve de l'oncle à la barbe jaune". Et alors c'est comme si mon rejet avait disparu. Oui, d'un seul coup. Enfin, je sais bien que ce n'est pas forcément définitif mais j'ai acheté "Psychopathologie de la vie quotidienne" et "Sur le rêve". Et maintenant j'ai beaucoup le goût de Freud, de sa manière d'écrire, de chercher, de tâtonner dans l'inconscient, à travers ses rêves et dans son histoire personnelle…
Sur le rêve. Extraits :
« Je m'arrêterai ici afin d'embrasser du regard les résultats que nous avons déjà obtenus dans l'analyse du rêve. Tout en suivant les associations qui se rattachaient aux éléments isolés du rêve, attachés à leur contexte, je suis parvenu à une série de pensées et de souvenirs où il me faut reconnaître de précieuses expressions de ma vie psychique. Ce matériel découvert par l'analyse du rêve entretient une corrélation étroite avec le contenu du rêve ; cependant cette corrélation est d'une nature telle que je n'aurais jamais pu dégager du contenu du rêve ce qui vient d'être découvert.
Le rêve était dépourvu d'affect, incohérent et incompréhensible ; tandis que je développe les pensées qui se trouvent derrière le rêve, j'éprouve des mouvements d'affect intenses et bien fondés ; les pensées elles-mêmes se lient avec une logique parfaite, en formant des chaînes où certaines représentations surviennent à plusieurs reprises en tant que représentations centrales. […]
Dans le tissu qui se révèle à l'analyse, je pourrais tirer plus fortement sur les fils et montrer alors qu'ils se réunissent en un nœud, mais des considérations de nature non pas scientifique mais privée me retiennent de faire publiquement ce travail. Je devrais trahir trop de choses dont il vaut mieux qu'elles demeurent mon secret, car en m'acheminant vers cette solution toutes sortes de choses que je ne m'avoue moi même pas volontiers me sont devenus claires. » page 57 - 58.
« Je confronte le rêve tel qu’il existe dans mon souvenir au matériel qui s'y rapporte découvert par l’analyse, et nomme le premier le contenu manifeste du rêve, le second, d’abord sans autre distinction, le contenu latent du rêve”. Je me trouve alors en présence de deux problèmes nouveaux, non encore formulés jusqu'ici : 1) quel est le processus psychique qui a fait passer le contenu latent du rêve au contenu manifeste, qui m'est connu par le souvenir ? Je nommerai travail du rêve le processus de transformation du contenu latent du rêve en contenu manifeste. Le pendant de ce travail, qui opère la transformation inverse, je l'ai déjà nommé travail d'analyse. » Page 60.
Sur le rêve – Sigmund Freud – Collection Folio essais.
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Photo : Œuvres complètes – Les chants de Maldoror – Comte de Lautréamont.