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AVR 23

Microbes & Psyché

Je ne sais pas si vous avez ça, vous aussi : des fois, je me fais pas mal de frayeurs.
Enfin, c'est une angoisse bien familière au fond. J'ai soudain peur d'être contaminé. Et pas du tout par le coronavirus parce que ça, c'est déjà fait – et plusieurs fois déjà – là, c'est dans les toilettes plus ou moins publiques, avec la crainte soudaine d'attraper je ne sais quoi.
Je dis « plus ou moins publiques » parce que ce n'est pas forcément dans les sanisettes JC Decaux mais dans les WC du Cocoon Space, là où je reçois.
C'est très cosy, c'est toujours propre, et il n'y a pas de raison donc. Mais le rationnel n'a pas cours dans l'inconscient. Au contraire, c'est un peu comme dans un vide-grenier, les choses sont de bric et de broc, elles viennent d'une autre époque et se tiennent plus ou moins serrées ensemble.
 

Et donc, avec cette peur-là, il y a une phrase de l'enfance qui me revient : « Faut pas aller dans les toilettes des trains ». Enfin cette sentence a toujours tourné dans ma tête, et ça agit comme une boussole à rebours. Ça pointe une direction qu'il faut fuir. Il est vrai que dans les trains de cette époque, la cuvette des WC donnait sur les rails, en direct et sans syphon. C'était pas rassurant. Surtout à folle allure ou dans les trains de nuit.

Un Cocoon Space n'a rien à voir avec un train de cette époque, je le sais bien, mais j'ai quand même peur d'attraper les miasmes des gens qui passent avant moi. Pas forcément les patients parce que ceux-là, je les connais assez bien à la longue.

Oui, ils parlent en séance des résultats de leurs analyses de sang, d'urine et davantage, parce qu'ils sentent bien que le souci peut être tout autant somato-psychique que l'inverse. Là aussi, tout se tient serré ensemble.

Mais il y a aussi des coachs qui passent par le Cocoon alors peut-être que c'est leurs microbes que je redoute. Des microbes de coachs. Tout ça reste fantasmatique bien sûr, mais ça nourrit l'angoisse au fond. Quand j'enseignais à Paris 2, pour les coachs justement, je me souviens, le boss disait aux étudiants que j'étais ici comme Malaussène, dans Au bonheur des Ogres et toute la suite de la saga. Un bouc émissaire professionnel. Je pouvais donc tout prendre sur mon dos. Tout le cloaque de chaque promo du moment.

J'étais consentant, mais avec le recul je trouve bizarre cette manière de voir et de dire. Au contraire, moi je proposais à chacun tout un travail pour regarder de près dans son histoire personnelle pourquoi vouloir s'en prendre aux gens et chercher à les « développer », les entraîner, les rendre plus « agiles », etc. Et donc, avec ce genre d'enquête, d'anamnèse, pas la peine d'avoir un bouc professionnel pour décharger d'emblée le pathos et la rage de toute une histoire de vie. Mais c'est vrai que tout ça ne donnait pas directement sur la voie, sur les rails ; et il fallait passer par des syphons et des méandres.
Et ce que je crains aujourd'hui est peut-être le contrecoup de ce régime-là, pendant vingt ans.

Bref. Je ne sais pas pourquoi, mais je n'ai pas osé parler de tout ça sur le divan alors que ça devenait obsédant au fond et je risquais de déclencher une réaction en chaîne, un truc psychosomatique. Par contre, j'ai voulu questionner Eva, comme ça, en passant. Je lui ai demandé ce qu'il en était pour elle dans les trains, en enfance, en Espagne. Elle a dû sentir que c'était pas vraiment ça la question, que je tournais autour du pot en quelque sorte.

– T'as peur que des trucs au-dehors te sautent dessus mais, tu sais bien, c'est des trucs à toi au-dedans que t'as peur de lâcher !
Ça a fait comme un twist tout à la fin d'un thriller ou d'une série cette manière-là de voir. Parce que c'est vrai que j'ai toujours plein de trucs pas catholiques qui tournent en rond au-dedans et qui ont du mal à sortir mine de rien.

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La photo, là, c'est pas un bouc, c'est le bélier camerounais d'ici à la campagne. Pas besoin de lui tondre la laine sur le dos, il mue à chaque printemps.