C'est étrange. On s'accroche des années durant à une forme de vie particulière et puis, avec le recul, on voit bien que cette forme-là on l'a complètement retournée en son contraire. Ce renversement s'est passé en douce. Mais rien de doux là-dedans. Car il y a derrière ça tout un mode de jouissance bien engrammé, incorporé qu'on finit par lâcher. De proche en proche ou par ricochet. À son corps défendant.
Je repense ici à mes histoires du moment avec les chantiers flottants. Ces bricolages au long cours, erratiques, sans tensions, comme une flânerie à chaque fois. Et, par contraste alors, à ma manière de faire les choses du quotidien à une autre époque : monter sur le toit pour déboucher les gouttières, réparer l'armoire Ikéa dans la chambre des enfants, faire livrer du fioul pour l'hiver, lancer les lessives, préparer un repas créole pour le dîner samedi, un bavarois aux framboises aussi, etc.
Ça semble venir du même endroit que nos rêves. Sur la fréquence de l'inconscient. Mais ça surgit dans la journée, par instant. Et pas forcément sur le fil des actes manqués, des faux pas, des ratés – toute la psychopathologie de la vie quotidienne –, mais sous une forme minuscule, furtive et créative. Juste une image ou un mot, par exemple.
L'autre jour, c'était une histoire de « bruit blanc » entendue en passant. Lors d'une conférence sur l'amour des commencements, enfin sur la naissance. Et sur le traumatisme qu'est ce passage soudain du chaud, de l'humide et du sombre vers tout le contraire, vers le monde du dehors. Et donc, ces bruits blancs ont un effet apaisant pour les bébés paraît-il. Ça peut même les aider à s'endormir. Ça me semblait plus ou moins inconnu, et c'est sans doute ça qui accroche. Les choses étrangères mais familières. Il faudrait s'arrêter pour les noter, et puis chercher à en savoir davantage. Mais il est facile de passer à autre chose et alors ça s'efface.