09
JUI 11

Rencontre avec Françoise Quennessen

Ça a commencé par quelques mots partagés là, sur le blog, puis des lignes échangées dans les coulisses. Car c'est aussi à travers les ondes qu'elle aime accompagner ceux qui côtoient la violence ou la mort, l'absurde ou l'indicible.
Et puis un jour, « une fois n'est pas coutume » me suis-je dit, j'ai eu envie de lâcher l'azertyuiop et mon écran pour rencontrer cette femme qui vit là-bas à la lisière des montagnes et de la mer.
Un échange pour rien, juste comme ça. C'était il y a deux ans. Et aujourd'hui j'aime continuer de prendre soin du fil qui s'est tissé au fil du temps, au fil des lignes, comme ça, pour le plaisir de papoter, de babiller avec elle.
Autre rencontre inédite, intime, ici, entre herbes folles et feuilles de ronce.

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André : Qu'est-ce qui vous a donné envie de dire oui à mon envie de nous rencontrer, ici, à fleur d'ondes ?

Françoise : J'ai plutôt imaginé pourquoi j'aurais dit non ! Parce que, dans cette rencontre-là, je n'ai pas le désir de parler de mon "travail", même si je suis passionnée. Savoir si je suis coach ou thérapeute, ou les deux ou rien du tout, peu importe… J'évolue avec ce que je porte en moi, ce que j'ai emmagasiné au fil des années, heureuses ou douloureuses.
J'ai envie de musarder, de retrouver le ton décousu de notre première rencontre en "mode mammifère", devant une tasse de thé, un jour de l'été 2009.
Parler de tout, de rien, de vous, de moi, des oiseaux et des tigres, de la douceur et de la rébellion… du ciel et de l'enfer ! Sans ordre, ni foi, ni loi…

André : Musarder ça rime avec lézarder et ça m'évoque un sentier au milieu des herbes folles et de nulle part, hors du temps. Vous ne voulez parler ici ni de coaching ni de thérapie et c'est pourtant sur ces sentiers vagabonds, loin des "histoires dominantes ou préférées", que l'on finit par s'emmener avec nos clients ?

Françoise : Je n'aime pas les autoroutes, alors… oui, André, qu'on le veuille ou non, c'est toujours sur ces chemins qu'on atterrit !
Et j'aime y croiser des "clients" ; je les accompagne, je reste derrière eux, main légère posée sur leur épaule.
Avec une "formation non certifiante", mon parcours n'est pas académique et j'aime me fier à mon sixième sens, à mon feeling… comme une boussole pour ne pas perdre le nord.
Musarder, lézarder… ces mots riment aussi avec bavarder ! Bavarder, parler et surtout laisser parler, être à l'écoute, aux aguets…
Flairer, débusquer… ramer aussi ! Tout est bon pour s'aventurer hors des sentiers battus où il fait bon "travailler".
Et quand "ça marche" c'est émouvant. C'est beau comme un soleil !

André : Lézarder m'évoque aussi les lézardes dans la pierre, les griffes dans la chair ou les bleus à l'âme. Et j'aime croire que c'est là aussi que nous nous rencontrons ? Mais là aussi, dans les failles, que passe la lumière ?

Françoise : Nous rencontrer, fêlures mêlées peut-être… Chacun porte les siennes ! Ces coups de griffes déchirent le cœur et le corps. Les bleus à l'âme obscurcissent le chemin de la vie. A 7 ans à peine, je perds mon père. A presque 32 ans, ma fille cadette meurt. Paradoxal peut-être, mais ce sont probablement ces fêlures devenues fractures qui ont rendu possible la construction d'une nouvelle route.
Chaque blessure est une déchirure, chaque séparation une amputation.
Et après, je fais comment, je deviens quoi ? Poireau, salsifis ou pomme de terre ? Non, je ne suis pas ce qu'on appelle "une forte femme" ; mais est-ce une raison pour me laisser mourir ?
C'est peut-être l'obligation de me battre dès l'enfance qui a été source de vie.
Envie de vivre, surtout de ne pas me laisser faire, manipuler, trimballer au gré des évènements. En chatte sauvage, éternelle rebelle, j'ai aimé sortir mes griffes, à mon tour. J'ai arraché les murs et, blessée jusqu'au sang, j'ai agrandi les lézardes pour que la lumière illumine à nouveau ma vie. Aucune douleur n'est insurmontable, je crois. Le besoin de respirer est plus fort. Les larmes sont toujours là ; elles ne guérissent pas, mais nourrissent l'espoir ! Aujourd'hui, ma vie m'appartient. Je ne savais pas qui j'étais, je sais qui je suis, ce que je veux… ce que je peux.
André, est-ce une rencontre ou un croisement, sur les chemins bordés de fleurs ou de ronces ?

André : J'aime savoir que, sur le bord des sentiers sauvages, les ronces sont aussi des mûriers. Libre à nous alors, d'à plein corps nous y jeter, nous y griffer ou bien, sur la pointe des pieds, en cueillir les fruits. Et les feuilles de ronce servaient parfois de thé. Alors, avec quoi conclure ensemble cet instant vagabond : mûres sauvages savourées dans l'instant ou confitures demain, autour d'un thé ?

Françoise : Vous savez voir des mûriers sur les bords des sentiers sauvages ! Cette image me ramène sur les sentiers de ma vie : les murs de mes maisons envahis des ronces qui se glissent dans la moindre fissure. Petite fille… je me souviens du doux murmure des mûres, que je cueillais avec « ma maman magicienne » qui les transformait en gelée exquise. J'étais alors une enfant insouciante, je ne savais rien des épines. Je vivais dans une bulle. J'étais heureuse, capricieuse, autoritaire, rebelle déjà, et pourtant je me savais aimée. Puis tout a basculé. Je ne suis pas tombée dans le piège des ronciers, même s'ils m'ont agrippée. À chaque fois j'ai réussi à m'échapper.

C'est autour d'un thé que nous avons entamé notre premier dialogue… à votre tour vous m'avez apprivoisée. Et puisque que les feuilles du mûrier servent à élaborer un délicieux breuvage, je vous propose de nous retrouver autour d'un thé à la feuille de ronce.

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Le blog de Françoise : Le grand déblocage