Arabesques et entrechats, révérences et sauts de biche, du plancher piqué jusqu'au toit de verre fin, tout ici tremble et se trouble quand, juste au dessous, les danseuses s'initient à l'unisson.
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Elle aime lui murmurer au creux de l'oreille des mots délicieusement tabous. Elle voudrait le faire rougir. En vain. Il sourit de la voir s'amuser de ces petites transgressions. Et là, maintenant, elle frémit de ses mots interdits. Ça lui fait l'effet des chatouilles.
« Dis-moi, quelles bêtises aimais-tu faire quand tu étais enfant ? » lui demande-t-il. Elle fronce les sourcils. Long, très long silence. C'est comme s'il avait frappé à la porte d'une maison depuis longtemps inhabitée.
Sur le chemin du retour, l'envie me vient de lui parler du parfum de soi. Note de cœur, unique, au creux de la peau. Les alchimistes désespèrent d'en découvrir le secret. Les tueurs en série aussi. Elle me confie que ce parfum-là a sur elle les effets d'un doudou. Présent à jamais. Infiniment.
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Elle vit l'entre-séance comme une absence. « Cruauté du silence » écrit-elle. Et, quand ses mots partent à travers les ondes, son iDoudou vibre au creux de sa main, casse un instant le silence.
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Il est en Yoga une respiration qui, dit-elle, « apaise des grandes soifs de la vie ». Sitali. Dans la position du lotus, il faut à chaque inspire, longue, profonde, aimer tirer la langue.
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Saison rousse. Un peintre poète se cache dans le feuillage des châtaigniers, des acacias et des chênes posés là depuis longtemps, le long de l'autoroute. Il y a dans l'air la douceur des lèvres d'une femme juste avant le premier baiser. Et soudain, devant moi, le camion pile et zigzague un instant.
Elle se sent souvent démunie devant celui qu'elle accompagne. Elle n'a pas encore appris à écouter entre les mots et les regards, entre les gestes et les silences, le manque et le besoin de tendresse. Ni au fond d'elle-même ni en l'autre. Ni à l'école du coaching ni ailleurs.
Alors, lui, de séance en séance, comme pour l'initier, apporte ici des morceaux oubliés de son histoire. Et aussi son doudou, parfois. C'est un nounours, éclopé, râpé, retrouvé dans la maison de son enfance.
Aujourd'hui, il l'a laissé là, sur le sofa, entre les coussins de velours. Odeurs de grenier et saveurs d'enfance dans le pelage usé. Alors, elle le met à tremper dans l'eau de Javel.
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Elle qui, longtemps, m'a accompagné à travers les labyrinthes secrets de mon histoire et dans les jardins enclos de mon âme est là, au creux du canapé, blottie contre les coussins de feutre et de soie. J'ai aimé l'inviter, entre chien et loup, pour savourer les créations éphémères d'un pâtissier amoureux. Envie de prendre soin d'elle. Elle qui s'abandonne un instant au silence des anges et que j'ai, tour à tour, désirée et détestée, admirée et combattue. Étrange alchimie du transfert qui se dénoue.
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Elle a la charge d'un vaste territoire. Un millier d'âmes et plus. Elle aime en prendre soin comme jadis une reine amoureuse en son royaume. Et elle vient ici comme elle aime marcher le matin dans la brume et le soir dans les sous-bois. Loin du bruit du monde.
Mais, aujourd'hui, elle se sent chamboulée, désenchantée. Elle me parle de la folie d'une autre femme. Celle qui, là-bas dans sa tour de métal et de verre, abuse parfois de son pouvoir.
Je l'ai posée là sur le tapis de laine blanc. Il faut oser l'approcher et la toucher pour savoir si cette étrange grenouille est de pierre ou de métal. Gargouille tombée d'un clocher médiéval ou création inédite d'un ferronnier d'art amoureux.
C'est aux premières heures du jour qu'elle m'a laissé son message. Chamboulée et inquiète. « Êtes-vous libre aujourd'hui, entre deux séances, à midi ou ce soir ? » Elle est tombée en amour de celui qu'elle aime accompagner. « Passionnément. Éperdument. » Et elle lui a parlé de son désir pour lui. Mais lui n'est pas amoureux. C'est sa tendresse à elle qui le nourrit à chaque séance.
Sur la verrière en pente douce, une colombe dérape, maladroite, puis glisse, élégante. Son toboggan improvisé.
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