« C'était une nuit de pleine lune hier. Et c'est pour ça peut-être que j'ai si mal dormi ? murmure-t-elle. » Et puis là dans le silence, elle évoque une histoire douloureuse et de l'enfance qui semble se rejouer aujourd'hui ; certes avec un autre, mais pile poil comme autrefois. Alors, c'est peut-être plutôt ce cocktail Molotov, mélange amer de présent et de passé, qui l'a tant agitée jusqu'aux premières lueurs du jour quand la lune était déjà de l'autre côté du monde.
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Elle me raconte qu'elle a aimé traverser le pays des caribous en ULM ; et puis, de là-haut, elle a bien vu que la terre n'avait pas vraiment besoin des hommes.
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Si blonde si sage, là, en plein Boboland ; et sous son bras, cachée tant bien que mal, une bouteille d'un Château Margaux 2005.
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Le garde pages de son livre de prières, une orchidée noire.
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Pour tenter de quitter la première femme de sa vie - celle qui jadis lui a donné la vie - il aime se jeter à corps perdu et sans transition dans les bras de celle-là, un brin plus exclusive, deux fois plus dépressive et tout aussi fatale.
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« Voilà, c'est fini. » C'est avec ces mots que chaque fois, à l'orée du soir, elle me met à la porte. Tout doucement.
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C'est l'heure du goûter. L'âme rêveuse, il est assis en silence sur une marche de l'escalier de chêne qui monte vers les chambres. Plongé dans la lecture d'un magazine que son père aime lui rapporter chaque semaine. Et soudain, celle qui l'instant d'avant s'agitait en tous sens, tournait autour de son balai de paille, bondit vers lui, arrache une, deux, trois pages au hasard, et puis repart s'affairer comme si de rien n'était.
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Devant le bac à sable, il tourne les pages de son journal d'affaire comme un livre d'images.
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Pensées à fleur d'eau. Prendre le temps de poser une orchidée sur le bord de la fenêtre.
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Vous aimez évoquer la volupté que depuis peu vous découvrez quand, à l'orée de la nuit, vous posez sur votre corps, sur votre peau, crèmes onctueuses et onguents précieux.
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Attention, nous dit le voisin, bientôt le chasseur de souris rentrera bredouille de ses visites ici. Alors, sournoisement, il glissera ici et là, en bord de ciel, dans la cave ou dans l'académie de danse, un, deux, trois couples de rongeurs follement amoureux. Pour revenir ici, toujours, toujours.
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Sur le chemin vers le philosophe angélique, au soleil, une vierge noire. Et là, sur son sein, sur sa peau, un scorpion. A l'encre rouge, à l'encre bleue.
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Mon goût pour la poésie des mondes barbares, pour le drame et ses mots sensibles, c'était ma manière à moi de me protéger, de m'anesthésier. Ça a bien marché jusqu'alors. Mais aujourd'hui la mélancolie me lamine. Alors, me suggère le philosophe angélique, je pourrais ajouter de l'humour à la tragédie, explorer ainsi un genre nouveau. Et être autrement en amitié avec le noir au dedans et au dehors. Alors je cherche un stage de clown.
Au beau milieu de la nuit, entre les persiennes closes, un rayon de lune glisse, glisse et joue sur le piano de draps.
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« Moins de mélancolie ! » C'est ce qu'elle voulait me souhaiter à l'orée de cette nouvelle année. Mais elle n'a pas osé, murmure-t-elle, imaginant qu'au fond de moi, j'aime bien les balades en abysses.
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Malgré ses pierres à venin et ses gants mappa, le chasseur de souris repart encore bredouille et abbatu de l'Atelier.
Heureusement il ignore que c'est à l'étage au-dessous que les petits rats de l'Opéra aiment s'initier avec la danseuse étoile et le pianiste poète.
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Du grenier à la cave, dans la cuisine, dans le jardin, talkie-walkies qui crépitent, lampes-torche qui taguent la nuit noire, relevés d'empreinte par çi et par là, des policiers partout dans la maison, comme dans les séries TV.
Entre chien et loup, ma tanière a été cambriolée.
Belle et glamour, sage comme un ange, elle se laisse bercer comme un bébé dans le ventre du métro. Et au fond d'elle, et dans ses mains, le vice versa : "Cuisine sanglante". Noir extrême et couteau de boucher sur la première de couverture de son livre du moment.
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« Ma vie est un échec » lâche-t-il soudain. Et moi, ce matin, je n'ai pas envie de mélancolie. « Ça prendra cinq minutes » ajoute-t-il, comme s'il avait entendu mes pensées secrètes. Et puis il plonge, longtemps, longtemps, dans les coulisses et les abysses de sa vie. Sa vie d'avant et d'aujourd'hui.
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