Après coup, c'est évident ! Il y a bien deux positions : Auto & Manuel. Auto pour la modulation heures pleines / heures creuses. Manuel pour choisir le moment. De jour comme de nuit. Jamais je n'avais imaginé avoir la main ici.
C'est sur le tableau électrique, une sorte de contacteur sensible pour l'eau chaude. J'ai découvert ça au retour des vacances. Ça change tout. Plus besoin d'attendre après les heures creuses pour une douche.
Mais alors, pourquoi on floute, on oblitère, on se confisque ce qu'on a sous le nez depuis toujours ?
Quand j'ai découvert ça, cette étude étude de l’université de Bangor sur les gens qui parlent tout seul, à voix haute, ça m'a rassuré. Parce que je fais ça aussi des fois. Pas en l'air alors, mais dans mon dictaphone – enfin il y a un magnéto dans mon mobile, alors je fais des notes vocales. Je fais ça sur la route, dans ma Twingo, je branche mes écouteurs et je parle dans le micro. Plus ou moins en roue libre.
Au début, je craignais la maréchaussée parce que, même sans personne au bout du fil, c'est prohibé. Mais j'ai besoin de ça quand je me débats dans un problème tordu, trop alambiqué.
« Douce nuit, mon pote ! »
Cette manière-là de dire, complice, familière, ça lui a pris tout d'un coup au printemps, je crois. La première fois, j'ai rigolé, comme sous l'effet d'un trait d'esprit. Oui, ces sortes de fulgurances sorties tout droit de l'inconscient. Mais ça m'a fait bizarre : les potes, pour moi, ce n'est pas hétérogame, c'est plutôt entre mecs. Je n'ai pas questionné plus avant. Elle m'avait parfois raconté le plaisir pour elle, enfant et plus tard, de jouer plutôt avec les garçons. Électivement.
Bref. Elle a aimé m'embrasser dans la foulée, et moi aussi, et ce n'était pas du tout amical – pas comme des potes, je veux dire.
– Tu sais, t'as pas besoin de chercher très loin pour avoir des nouvelles de ton inconscient !
Je posais sur la table un Gewurztraminer pour accompagner des fruits de mer et quelques huîtres de Bretagne et c'est là que soudain Eva me rappelle mon goût pour les enquêtes. Oui, traquer les zigzags, les ratés ou les dérapages qui me disent ce que je trafique en sourdine. Tout un monde qui fuite, bien à rebours de la meilleure version de moi-même.
Je pourrais lancer le magnéto juste avant d'entrer, j'ai imaginé. Ou bien discrètement, quand je m'allonge ?!
C'est l'idée qui m'est venue l'autre matin, au réveil. Enregistrer ce que je raconte sur le divan et, après ça, en prélever un échantillon. Parce que depuis la fin de l'été, je n'ai plus trop de farces et attrapes, plus de « nouvelles de l'inconscient » à raconter. Ces histoires du quotidien à double sens. Oui, quand ce qui nous semble anodin, mais qui soudain nous accroche, en dit long sur nos tiraillements intimes, nos fixations, nos impasses préférées. Comme si je ne captais plus cette fréquence-là hélas.
À chaque fois, c'est pareil. Le liquide encore brûlant, noir, et la première gorgée, amère, âpre, sur les lèvres, sur la langue.
Ça passe illico dans tout le corps, comme par intraveineuse. Et alors le cœur qui soudain s'affole. Enfin c'est l'inverse, si au bout d'un moment je n'ai pas ça, je m'affole. Juste une ou deux lampées, avant les douze coups de midi. Une addiction, clairement.
– Dites, ça vous est déjà arrivé de faire des coups en douce ?
– ... ?!¿
– Oui, des trucs pas forcément très catholiques, pour arriver à vos fins ?
Cette séquence-là c'était en coaching. Avec une femme qui, depuis un moment déjà, ruminait devant moi, empêtrée dans les jeux de pouvoir de son CODIR et dans ses états d'âme. Pas facile de faire le tri à ce stade ; entre ses conflits à elle et le reste je veux dire. Tout ça se renvoyait, se répondait dans des jeux de miroirs plus ou moins déformants, grossissants.
Ce matin-là j'avais mis le réveil, alors forcément à un moment donné, ça a sonné. À partir de là, j'ai aimé t'enlacer, te sentir dans tes courbes, te caresser dans les creux. Tout ça sans trop te réveiller visiblement et puis, je n'ai pas pu m'empêcher de te mordre – enfin te mordiller, avec une saveur de l'enfance dans cette manière de faire. Et, quand je suis sorti plus ou moins du lit, tu as voulu me retenir encore un instant.
– Dis, tu veux pas te dédoubler ? tu m'as murmuré, comme si tu étais encore dans un rêve car ces choses-là n'arrivent pas autrement.
L'autre jour, quand je me suis allongé sur le divan, la première chose qui m'est venue c'est que j'aurais bien aimé faire un métier manuel aussi. Quelque chose de très physique, j'ai dit.
Il faut dire que juste avant d'arriver, au ras des pavés, j'avais aperçu deux ou trois ouvriers dans une tranchée pour le chauffage urbain. Il étaient aux prises avec des tuyaux et des barres de ferraille, des chaînes et du béton. C'était fugace, mais c'est comme certains rêves : on les efface au réveil et, dans la journée, on trébuche sur une scène de rue, un objet inanimé ou un regard, et par ricochet, une image de ce rêve-là ressurgit soudain. Et avec ça, tout un monde en soi. Ça reste crypté mais ça ouvre une brèche vers l'inconscient.
– Un métier de gros œuvre, j'ai précisé pour ma psy.
– Comme ici, elle m'a lancé du tac au tac.
C'est vraiment jouissif, à chaque fois, ce moment-là. Oui, bourrer la Twingo de tous les pots cassés, des casseroles, du parasol qui soudain avait volé dans la mare, avec le tapis rouge, le vieux sèche-cheveux, les trucs tordus ou complètement foutus, toutes les bricoles accumulées les mois passés, empilées au fond de l'appentis. Et puis partir à la déchetterie sans rien voir du chemin derrière soi. Et balancer tout ça dans les bennes en ferraille toutes cabossées, rouillées.
C'est bizarre, il n'y a que des hommes dans ce lieu-là. Tatoués, crânes rasés, barbe style hipster. En pick-up ou en fourgon. Ce n'est pas qu'un tour de force à chaque fois, c'est un style de vie aussi.
Il y a des squares à Paris pas vraiment secrets mais juste discrets où, pendant toute une époque, je prenais le temps de rêver – enfin, tout à la fois déjeuner au soleil et regarder plus ou moins les gens. Parce que ça fait des sortes de sursauts d'inconscience. Oui, des jeux d'ombre ou de miroir, des échos, des allers-retours dans le passé ou le futur... Tout ça nous donne des nouvelles de nous-même. Un jour, à la sortie d'un square un peu caché, Google m'a capté et proposé de laisser un avis. Alors pourquoi pas.
Tout d'un coup, vous prenez la porte. Plutôt méchamment... Ou vous vous tordez la cheville...
L'autre jour, c'est votre smartphone qui vous a échappé. L'écran complètement fêlé à présent...
Une autre fois, un, deux? trois essais, vous avez soudain perdu le code secret de votre carte bancaire...
Ce genre de coups manqués vous arrive parfois peut-être. Enfin, pas en série, pas comme ça bien sûr, mais toutes sortes de ratages par moment, des cafouillages, des faux pas ou des faux mouvements avec à chaque fois votre signature particulière au fond. Mais un peu d'antidouleur, un nouveau mobile, la CB livrée à domicile, en urgence, et vous passez à autre chose.
C'es
Oxalique, Citrique, Chlorhydrique... il y a des moments où j'ai beaucoup de goût pour une chose en particulier. Oui, je me concentre soudain sur cette chose-là, dans ces différentes formes, et cela pendant plusieurs semaines. J'en fais un chantier. Là, par exemple, je vois bien que j'ai plein d'attirance pour toutes sortes d'acides.
Ce genre de tropisme – limite maniaque voire psychopathe –, peut faire flipper mon entourage.