À quoi tu penses ? Je pense au trou dans la mare qu'il faut vraiment que je bouche à présent. Il y avait le héron dedans ce matin et maintenant je ne vois plus la carpe koï ni aucun poisson rouge. Peut-être que ceux qui restent se cachent pour ne pas mourir. Et pourtant, j'ai bien vu le niveau de l'eau baisser au fil des premiers beaux jours, mais c'est comme si je cherchais ce que pourtant je redoute en ce moment. La perte, la disparition, la catastrophe… Dans la mare comme ailleurs.
Et ça n'a rien à voir a priori mais je pense aussi à cette femme qui m'a interpellé, l'autre soir, boulevard des Batignolles. C'était entre chien et loup et c'était le foutoir sur tout le boulevard. Je marchais, plongé dans mes pensées – je me demandais si le lambrusco avait toujours des bulles, je venais de perdre mon écharpe, etc –, et elle sortait soudain et à angle droit du Franprix.
D'habitude je me méfie des autres, mais là elle m'a appelé par mon prénom alors, forcément, je me suis arrêté. Parce que le prénom c'est comme un mot de passe, intime, originel.
Je l'ai raconté ici ou là, Yvon Alamer, – c'est son pseudo –, j'ai bien aimé l'accompagner à ma manière et sans manières alors. C'était l'année dernière.
Et, comme il n'arrêtait pas de lire mon blog, je lui ai dit d'écrire à son tour. Oui, écrire un peu ses histoires d'aujourd'hui et d'avant, ses rêves d'enfant et les passions dans sa "boîte qui vend du bien-être et de l'image". Et aussi comment tout ça s'emmêle, souvent.
Ses lignes sont devenues des pages et ses pages sont devenues presqu'un livre. "Et s'il rencontrait Henri ?" m'a dit Eva qui a été sa première lectrice – Henri c'est Henri Kaufman, ami et éditeur du premier livre d'Eva chez Kawa.
Alors Yvon l'a rencontré sans trop de manières et son livre, "Un manager à nu", est sorti tout simplement et pendant l'hiver.
J'ai proposé à Yvon d'organiser une soirée spéciale pour inviter des amis et fêter ce livre-là. Et cette soirée c'était l'autre soir. Je ne sais pas trop pourquoi je fais tout ça. Ma psy me dit que le transfert n'est pas "liquidé" mais je ne sais pas comment on liquide un transfert en coaching d'entreprise. Je crois que c'est aussi parce que moi je sens plein de liens entre écrire et être accompagné. Oui, si on laisse vraiment aller, sans trop de manières, ça libère aussi un peu l'inconscient.
"J'écris pour me parcourir." écrit Henri Michaux dans Passages. Et puis avec Eva on se dit que, pour certains, écrire c'était peut-être un rêve d'enfant.
Et ce soir-là, Yvon Alamer a raconté un peu les effets de l'écriture pour lui.
Accompagner des groupes ou des équipes, c'est se faire prendre au jeu des passions dominantes, plonger d'emblée dans des dynamiques vivantes et mortifères, et y ajouter notre histoire intime, mine de rien.
Difficile alors de faire ça tout seul et avec les outils appris à l'école ou à la mode (genre coaching d'équipe ou co-développement…).
Alors Eva et moi nous aimons créer un cycle apprenant pour ceux qui ont vraiment le goût et l'expérience des collectifs – coachs et superviseurs, thérapeutes et analystes, formateurs et consultants, managers de managers – et qui veulent accompagner les dynamiques créatrices au fil de toutes les pulsions et des fantasmes qui s'en donnent à cœur joie sur la scène de l'inconscient.
4 modules de 2 jours avec une inter-session de 15 jours entre chaque journée. C'est à partir du printemps et jusqu'à l'automne. Et c'est à la campagne et en mode compagnonnage.
« Le monde n'est pas bien rangé, c'est un foutoir.
Je n'essaie pas de le mettre en ordre. »
Garry Winogrand
Ces mots-là c'est sur l'une des premières pages de BABYLONE, le nouveau roman de Yasmina Reza. Et quand j'ai commencé ce livre-là je ne savais pas trop où ça allait – oui, c'est aussi un peu comme un foutoir au fil des pages. Mais je me suis laissé faire et j'ai beaucoup aimé alors (peut-être parce que j'ai souvent voulu ranger le foutoir du monde, enfin mon foutoir personnel. Mais maintenant je vois bien que c'est pas possible.)
La trame est celle d'un polar autour d'une fête d'anniversaire, au printemps, et puis un drame chez les voisins du dessus (je n'en dis pas plus, là, pour ne pas divulgacher l'intrigue). Et la narratrice en profite alors pour parler de l'amour et de la mort, du couple et de nos exils intimes, de la fulgurance du temps humain, un peu comme les flocons de neige dont on ne sait « si ça va tenir ».
C'est noir mais lumineux, désenchanté mais délicieux.
Et la photo sur la couverture du roman, c'est aussi de Garry Winogrand, un photographe de la ville qui aime se plonger aussi dans le cours des affaires humaines.
Quelques extraits choisis, sans vraiment d'ordre alors.
Je ne sais plus trop comment ni pourquoi j'en arrive à lui raconter ça mais là je suis en train de lui dire que le matin, sous la douche, j'aime bien prendre le temps de me savonner le dessous et puis le bout de mes pieds, et bien sûr alors ça m'oblige à me contorsionner et me tenir en équilibre – sur un pied et puis sur l'autre –, mais j'aime ça parce que sinon c'est comme si je ne m'étais pas lavé. Enfin seulement à moitié.
– Mais tu sais, elle me dit, quand tu fais ça c'est comme si tu étais encore un bébé parce que c'est plutôt avec les bébés que l'on fait ça, et alors c'est comme la marque de l'infantile encore en toi !
Chaque année c'est plus ou moins la même chose : Noël en famille et retour en enfance alors ; et le jour de l'an sur le dancefloor, avec des amis, ou bien de l'autre côté du monde, au soleil… Ou au contraire retraite spirituelle ou plusieurs jours de jeun… Et puis, au retour, plein de bonnes résolutions et puis les vœux de bonheur, de santé, etc, pour tous ceux qu'on aime ou pas vraiment.
Mais malgré tout ça, les choses ne changent pas trop au fond. Oui, ça semble tourner en rond toujours, ça patauge autant que chaque année.
Et si, pour une fois alors, vous preniez un instant pour regarder ça, déplier ce qui vous agite ou vous retient ?
« Les inquisiteurs depuis la fin de la Renaissance affirment l'existence de preuves objectives de sorcellerie, des stigmates indiscutables qu'ils appellent les « marques insensibles ». C'est par là qu'on confondait les sorciers. On prenait soin de raser entièrement le corps des individus suspects ligotés nus sur une table, on demandait à un chirurgien dépêché exprès de « chercher ». Chercher, c'est-à-dire enfoncer de longues aiguilles qui faisaient hurler les malheureux, jusqu'à trouver, trouver un morceau de corps tout à fait insensible, tellement que de l'aiguille enfoncée il ne ressortait rien. Ni un cri de douleur ni une seule petite goutte de sang. »
C'est un extrait de "Possédées", un roman de Frédéric Legros. Et c'est plutôt insoutenable la lecture de ce livre-là, enfin surtout les dernières pages. Oui, à partir de ce moment-là c'est de la torture. Et pour le lecteur aussi.
Mais je ne l'ai pas choisi pour ça.
Je ne sais plus trop pourquoi mais, un beau jour, les choses ont fini par mal tourner avec Anastasia D. Oui, ça faisait presque deux années que je venais, comme ça, un jour ou l'autre de la semaine. J'avais travaillé sur une idée de carte orange pour Lille et sa région et puis sur un système de transport pour les personnes handicapées à Amiens. Et c'était surtout les sondages qui tournaient bien. Le développeur de QUESTIONS ® se régalait avec moi parce que je forçais un peu trop son logiciel, alors ça buggait et ça l'obligeait à ne rien laisser au hasard. C'est comme si je voulais toujours pousser les choses à bout. Et, surtout les gens derrière les choses. C'était même une forme de bagarre avec lui, mais ça ne le gênait pas, bien au contraire. Il augmentait ainsi la résistance de son logiciel et il ajoutait des subtilités inimaginables auparavant.
Et tout ça me revient aujourd'hui sous le signe de la bagarre alors que je m'étais toujours raconté cette histoire-là sur un mode glamour, genre premières découvertes et créations en entreprise.
C'est du côté des histoires qui se répètent que j'ai proposé aux étudiants d'aller voyager l'autre soir. C'était la deuxième séance du Master à Paris 2. Sur le fil de l'inconscient toujours et parce que, même si le coaching est tendu vers le futur, un futur supposé meilleur, le passé est toujours là, au présent. Mine de rien et à fleur de peau.
❝ Qu'est-ce que l'inconscient ? L'inconscient ne se manifeste pas seulement dans les lapsus, les actes manqués ou dans les rêves. Il nous est beaucoup plus vital et intime. L'inconscient est surtout la force souveraine qui nous pousse à choisir la femme ou l'homme avec lequel nous partageons notre vie, à choisir la profession que nous exerçons et qui nous confère une identité sociale […] et il est un autre pouvoir de l'inconscient, plus irrésistible encore : c'est la répétition. Par dessus tout l'inconscient est la force qui nous pousse à répéter sereinement les mêmes comportements heureux – et alors la répétition est une répétition saine et l'inconscient une force de vie – ; ou qui nous pousse à répéter compulsivement les mêmes erreurs et les mêmes comportements d'échec – et alors la répétition est une répétition pathologique et l'inconscient une force de mort. ❞ J.-D. NASIO - L'inconscient, c'est la répétition – Editions Payot
"Danser devant le buffet", "Accoucher d'une souris", "Passer sous les fourches caudines"… C'est Anastasia D, la directrice du cabinet d'études, qui sortait ces formules très imagées. Au début, j'ai cru que c'était de la poésie surréaliste ou bien des énigmes, mais ça revenait souvent alors j'ai compris que c'était des expressions populaires. Je ne connaissais pas cette manière de parler. C'était comme une nouvelle langue étrangère bien plus vivante que le latin de messe.
Anastasia D sortait ça à la mairie d'Amiens ou de Villejuif, à la SNCF ou au conseil régional du Nord-Pas-de-Calais. Je l'accompagnais pour m'imprégner des problèmes de mobilité dans les villes et tout autour. Parfois on allait aussi au Parti Communiste parce qu'elle faisait du conseil en communication.
Hugues O, son fils, venait aussi. Il était sociologue, il parlait avec beaucoup de savance et il écrivait plein de rapports sur les gens et leurs stratégies de déplacement, seuls ou tous ensemble. Il noircissait des pages et des pages pour la secrétaire, comme s'il faisait une thèse à chaque fois. Il réfléchissait beaucoup aussi et il fumait tout autant dans son petit bureau qui était comme une chambre à côté de sa mère.
Eva et moi nous aimons ouvrir en janvier prochain un groupe pour "accompagner ceux qui accompagnent" et faire ainsi du "travail de soi" une source vive du travail d'accompagnement des autres, en individuel, en groupe ou en collectifs humains.
Un groupe animé en duo donc et aussi un groupe "supervisant". A l'écart ainsi des sentiers battus de la supervision autour d'un modèle ou d'un maître.
Quelques lignes alors sur ce qui nous anime.
« Fais le beau, Attaque ! », mon histoire en écriture, ça continue. Un nouvel épisode, là.
Et d'abord, quelques lignes sur le feuilleton précédent : « Côté passager »
Dans la voiture du frère dominicain, sur le chemin vers la Dordogne, je voyageais aussi dans ma tête. Des souvenirs de rodéo dans une Jeep de l'armée, un passage éclair dans une école pour moniteurs d'auto-école et aussi un accident avec ma mère, dans sa Renault 14. Le coté passager c'est aussi la place du mort mais je l'ai échappé belle, là.
Arrivé à Mézels, dans la chapelle, j'ai découvert un étrange rituel pour les postulants au noviciat. Alors, après ça, j'étais impatient de rentrer à Paris.
"Analystes et écrivains sont des rôdeurs de frontières, le domaine qu'ils fréquentent et dont ils reviennent avec des mots vivants n'appartient à personne, et le temps des urgences et des délais, des commencements et des fins, n'y a pas cours." C'est François Gantheret, qui écrit ça dans son essai "La nostalgie du présent".
Ce psychanalyste-là aime passer tour à tour du fauteuil à sa table d'écriture, et c'est aussi ce voyage-là que Yvon Alamer a aimé entreprendre dans son ouvrage "Un manager à nu".
Il n'est pas du tout psy, Yvon, non c'est « un mec qui est plus ou moins cadre dirigeant dans une grande société qui vend de l'image et du bien-être » dit-il, et « un mec qui n'a pas beaucoup profité de son enfance, qui a fait des études, marié (avec une femme), trois enfants (de la même épouse), plus ou moins tous ados » il ajoute.
Mais, avec une séance chaque semaine à l'atelier, il est devenu un peu "analysant" et il a attrapé le goût des mots, des mots parlés et des mots écrits.
Deux ou trois extraits de son livre, en partage, là.