– Oulala ! Ça sent super fort chez vous aujourd'hui !, me dit le chasseur de souris quand je lui ouvre la porte ce matin.
Je trouve sa remarque déplacée, intrusive, mais comme il passe ici tous les quinze jours, au petit matin, pour poser ses appâts et ses pierres à venin, forcément, il connaît bien les coulisses et tous les recoins. Alors il se croit peut-être en intimité.
– Oui, je lui réponds, l'eau d'ici est calcaire et mon fer à vapeur crache des cailloux et fait plein de taches jaunes sur mes chemises de lin ou de popeline.
– Ah oui ? il me dit avec un air un peu inquiet.
– J'essaie de le vidanger avec des sels d'acide citrique et puis aussi du vinaigre d'alcool mais c'est pire.
– Et votre prochain patient, il arrive à quelle heure ? il me demande encore plus intrusif je trouve.
"Dis, des fois, tu pourrais me donner un baiser doux ?"
Tu me demandes ça parce que, là, je viens de t'embrasser et je vois bien que je fais un peu comme un chien. Oui, je te mords ou je te lèche. Et, des fois, je fais les deux à la fois parce que j'aime beaucoup le goût si particulier de ta peau sur le bout de ma langue et la sensation de ta chair entre mes dents.
Et donc c'est vrai, ce n'est pas très doux. Mais, jusqu'à présent, je n'avais pas vraiment remarqué ma manière de faire. C'est peut-être par réflexe ou bien écrit dans une mémoire des origines.
Et je me demande s'il existe un art du baiser ? Le donner et le recevoir ? Et comment ça s'apprend alors ?
Moi, si je t'embrasse ainsi c'est aussi parce que de plus en plus souvent tu as Little Snow avec toi. C'est un chien, enfin une jeune chienne, avec un pelage tout blanc, très soyeux, et qui ressemble à un renard des neiges. Et quand vous vous câlinez toutes les deux, je te regarde faire, par en dessous.
« Ce serait un homme ou une femme ? Plutôt jeune ou bien âgé ? Silencieux ou pas du tout ? Vous seriez allongé ou face à face ? … ?
Vous vous laissez aller ainsi entre vous, en petit groupe, fantasmer celui qui vous accompagnera. »
C'était vendredi soir à Paris 2 et c'est comme ça que j'ai commencé la supervision en groupe. Et, dans la foulée, sans rompre le fil, j'ai proposé de continuer comme ça, enfin d'ouvrir un peu à d'autres, sur le fil des jeux de transfert :
« Chacun de vous se retourne un instant vers le reste du groupe et choisit celui ou celle qui semble le plus proche de son fantasme : homme ou femme, plus ou moins âgé, silencieux… Et puis alors vous faites de la place à ceux-là dans votre groupe. Et une fois tout à côté, vous continuez en racontant en quoi il ou elle est proche de ce que vous imaginez ? Et puis aussi en quoi il ou elle est bien différent, par certains côtés, peut-être ? »
Et j'ai proposé encore un moment ainsi, toujours sans rompre le fil. Oui, parce que d'habitude je fractionne les séquences, mais là j'aime le mode fondu enchaîné :
« Et enfin, sur le fil de vos souvenirs, vous vous demandez ce que ça vous évoque cet autre, cette relation-là ? »
Donc tout ça, c'était l'autre soir, pour le Master Coaching. Sixième séance. Avec une question qui avait surgi la séance d'avant, à la pause : Par qui être accompagné ?
Et moi, forcément j'avais un parti pris, une réponse très orientée psychanalyse ! Alors j'ai imaginé ce cheminement-là pour laisser à chacun se raconter son histoire : du futur, vers le présent et puis vers le passé. Parce que tout ça, c'est très entremêlé sur la scène de l'inconscient.
Et au bout du compte, au bout de ce cheminement-là, il y en a qui ont entraperçu que leur fantasme, la figure de l'autre, celui qu'ils voulaient pour être accompagné, c'était comme une répétition dans le sens de leur histoire intime… ou bien à contre-sens.
Et la trame de la séance, là, en partage.
"Et pourquoi tu ne prends pas un amant ?" C'est sa mère qui lui a proposé ça l'autre jour. Elle raconte ça à sa copine tout à côté d'elle, en terrasse. L'une blonde, l'autre brune, plutôt chics en apparence, elles se partagent une planche mixte, cochonnailles et fromages, et un pochon de rouge. Et moi je suis à deux tables de là, Grimbergen et cacahuètes.
J'aime bien me poser là, des fois, pour écrire. C'est juste derrière l'UNESCO et c'est calme d'habitude. Et là, j'ai envie d'écrire sur un moment un peu fou, l'autre soir, avec ma psy quand j'avais un couteau dans ma musette. J'ai pourtant décidé de ne plus écrire sur mes séances parce que je sens bien que ça interfère avec l'analyse. Enfin c'est une forme de répétition, je rejoue l'enfant qui fait son malin, qui veut se donner à voir, par l'écriture. Et puis, comme je lâche un peu les défenses, ça paraît de plus en plus fou mes séances. Ma psy m'a demandé si j'espérais être compris en publiant mes histoires comme ça, sur mon blog. Et ça m'a un peu calmé sa question parce que, non, évidemment c'est incompréhensible tout ça.
Mais j'ai aussi arrêté mon autofiction – Fais le beau, Attaque ! –, parce que ce n'est pas du tout une fiction finalement et c'est attaquant, très blessant, pour ceux qui sont dans mon histoire. Mais l'écriture est une drogue pour moi et l'histoire de l'autre soir ce n'était pas vraiment pendant la séance, non c'était juste devant sa porte, alors ce n'est pas trop gênant, je pense.
Et toujours elle m'écrivait. Le titre de ce livre reste longtemps comme une énigme au fil de ses pages. Oui, qui est celle qui écrivait, toujours ? Et comme il s'agit d'histoires d'enfance, enfin de psychanalyse, c'est aussi un peu comme une devinette. Si vous avez déjà voyagé sur un divan, cette devinette-là est facile puisque c'est une femme et souvent il n'y en a qu'une qui, attachante ou attachée, débordante ou manquée, se rappelle à soi. Les autres ne sont alors que des répétitions, plus ou moins déguisées.
La trame du livre est aussi celle d'une énigme à la recherche du secret des origines, de la "scène primitive". C'est un récit de divan donc et, ces récits de voyages sont plutôt rares car il y a la règle d'airain qui veut que jamais rien ne sorte du cabinet du psy. Mais ici même le psy met à mal tout ça. Oui, après une première tranche avec "une cerbère mutique" et puis une autre avec Pierre Fedida, "un psy qui ressemblait à Einstein", Philippe Grimbert, le troisième analyste de l'auteur, qui est aussi écrivain (Un secret, La mauvaise rencontre) se glisse entre les pages de son ancien patient. Il en ponctue le récit, par petites touches, interprète, suggère des liens, souligne le sens caché des mots (imper, pater…). Comme en analyse aussi.
Et si la règle est enfreinte ici c'est parce que Grimbert "aime ce qui n’est pas orthodoxe […] et que la psychanalyse a besoin d'être démythifiée, comme tout ce qui inspire une terreur sacrée." (*)
Et j'ai aimé ce livre-là pour tout ça : le récit comme une enquête policière tout au long des années, les voyages à travers l'histoire familiale et les névroses, la mise au jour de ce qui ne se dit pas, et tout le maillage de la psyché, les lignes du psy en contrepoint et sans jargon, les liens entre psychanalyse et écriture, les séances avec Pierre Fedida…
J'ai beaucoup aimé, même si ça finit un peu en accéléré avec la dernière tranche et une technologie qui fait Bzibzi Beeep Beeep que Grimbert, dans un acte manqué, voudrait écrire MERD ! Oui, ça s'accélère, ça semble forcer des liens mais c'est sans doute parce qu'au fil des années, l'inconscient avait été retourné, de fond en comble.
Cultiver le "vivre-ensemble", l'économie du partage, prendre soin des biens communs… Développer l'intelligence collective, l'innovation collaborative… Dans la cité comme dans l'entreprise, chacun appelle de ses vœux la coopération. Mais tout ça ne va pas de soi. Oui, parce qu'un groupe est propice à toutes les passions au fond, autant créatrices que destructrices.
Et c'est pour ça que, sur le fil de nos accompagnements et à l'écart des outils à la mode, Eva et moi on aime créer les Groupes d'Analyse de Pratiques Collaboratives. Pour faire du travail en groupe, l'objet de travail d'un groupe. C'est en duo, au féminin-masculin donc, et c'est vraiment précieux pour une écoute sensible des passions au cœur d'un groupe.
Et c'est pour la rentrée.
Bienvenue à ceux qui aiment diriger ou animer des équipes, former ou accompagner des groupes, en entreprise ou en réseau.
C'est fou, toi et moi, on n'a rien en commun, elle m'a dit ce matin-là. Je ne sais pas trop pourquoi elle m'a dit ça, comme ça, à son réveil. Peut-être parce qu'elle pensait soudain à ses travaux et ses recherches sur "La psychologie du collaboratif" et moi, si c'est ça, je donne volontiers mon corps à sa science. Mais vraiment aucun point commun !, elle a renchéri. Ce mot-là – renchéri –, c'est moi qui l'ajoute ici parce que je le trouve joli. Mais c'est bizarre quand même, ai-je pensé, parce que dans l'imaginaire populaire, s'aimer c'est se trouver plein de points communs et se retrouver ensemble autour de tout ça aussi. "Qui se ressemble s'assemble", comme on dit.
C'est comme ça chaque année, on est d'accord, au beau milieu du fil de la supervision en groupe, Thierry Chavel – le boss du Master Coaching à Paris 2 –, vient un moment à l'écoute des questions des étudiants, et peut-être aussi de leurs angoisses, à l'approche de tous les rituels pour avoir le diplôme : épreuves écrites, mémoire, soutenance.
Et d'habitude, une fois Thierry reparti, moi je passe du coq à l'âne : je reprends mon fil. Thématique, didactique.
Mais là, et de plus en plus, j'en fais de moins en moins. Enfin j'apprends à laisser le groupe tisser de lui-même.
Et donc ce soir-là, c'était la cinquième séance et j'ai aimé continué avec ce fil-là des peurs et des vieilles histoires, des fantasmes et des répétitions qui se trament derrière les rituels qui s'annoncent. A l'école du coaching comme depuis longtemps sans doute, pour chacun.
Voyage au fil des souvenirs donc. D'abord en duo, à demi silencieux. Et puis ensuite en petit groupe Balint sur les questions de mémoire et d'écriture.
Ni supervision ni coaching d'équipe, ni codev ou techniques à la mode, le groupe Balint c'est l'une des formes de l'analyse en petit groupe et au naturel : sur le fil des associations libres, sur le fil de l'inconscient d'un groupe. (*)
En partage ici, la trame de cette séance.
(*) Dans son nouvel ouvrage, La psychologie du collaboratif, Eva nous raconte aussi plein d'expériences sur la "groupe-analyse" et les ressorts intimes, les processus inconscients et la conflictualité au cœur des groupes humains. Et c'est inspirant, je trouve, pour sortir des "déroulés" élucubrés a priori.
– Dis, tu sais, tous ces poils partout sur ton corps, sur ta peau, un peu comme un animal ?
Tu me dis ça et, en même temps, tu fourrages, tu t'emmêles le bout des doigts et tu te mets à grogner, comme si tu retrouvais soudain un peu de ta part animale à toi. Tu fais ça aussi avec ton chien. Au début, je te regardais par en-dessous parce que ça me rendait jaloux. Mais j'ai parlé de ça sur le divan et j'ai découvert que ça me ramenait directement au milieu de la meute de mon enfance avec les animaux et les autres enfants, et donc aujourd'hui ça s'est un peu apaisé. Et toi, tu continues sur le fil de tes idées :
– C'est comme un pelage, tu sais ?
– Oui ? je te réponds parce que je ne sais pas trop où tu vas en venir. Et je te laisse faire.
– Tiens, il y a un magasin Biocoop, là, je te dis.
C'est juste après la conférence psy "L'enfant qui mord, qui tape ou qui casse". Et, là, on va partir en week-end à la campagne.
– Attends-moi un instant alors, j'ajoute. Oui, je vais acheter du pain pour ce soir et puis on file.
Tu me dis oui, à tout de suite, tu aimes m'embrasser un instant et tu commences à consulter Mappy pour éviter les embouteillages. (Avec le mode trafic en temps réel, c'est vraiment bien Mappy parce que toi et moi on a chacun un itinéraire préféré et des intuitions qui ne collent pas. Mais si on laisse le GPS nous guider avec l'envie partagée d'aller au plus vite, ça objective et on n'a plus besoin de se chipouiller.)
Et donc je file vers la Biocoop. Mais, une fois dans la boutique, tout commence à aller de travers.
Après "L'art du lien", chez Kawa en 2014, Eva publie un nouvel et bel ouvrage "La psychologie du collaboratif" qui paraît ces jours-ci aux éditions L'Harmattan. C'est sous le signe du témoignage, vivant et au cœur de la conduite des groupes.
Au naturel toujours, l'esprit libre et exigeant alors. Et à l'écoute sensible de ce qui se trame sur la scène de l'inconscient.
Et, comme nos créations prennent leurs sources dans nos histoires intimes et familières, j'ai voulu en savoir un peu plus sur les origines de ce livre-là.
Interview.
"Si le couple va mal c'est parce que faire couple n'est pas naturel ! Non, ce n'est pas dans notre nature, ni chez les humains ni chez les animaux. C'est même pathogène souvent." C'est Philippe Brenot, psychiatre et anthropologue, qui racontait ça l'autre soir lors d'un cycle de conférences sur "La vie du couple" et pour les Séminaires Psychanalytiques de Paris.
Et je m'intéresse de près et depuis toujours, je crois, à ces questions d'alliance. Oui, à ce "mouvement collectif à deux", mystérieux et depuis les origines. (J'en parle beaucoup entre les lignes ou en direct dans mon autofiction, ici ainsi : Bricoler ou faire l'amour).
"Et le huis-clos entre un homme et une femme c'est terrible car l'autre devient le punching-ball de tous les conflits intimes de l'un. Et vice versa." ajoutait le psy. Philippe Brenot est aussi écrivain et il écrit beaucoup, plus de 40 ouvrages dont "Inventer le couple, Les Hommes, le Sexe et l’Amour".
Pour lui, écrire est un métier à mi-temps. Et une manière de se poser un instant dans sa clinique, dans ses travaux de recherche.
Il vient aussi de publier Sex Story, "la première histoire de la sexualité en BD".
Autre idée décalée : la sexualité est apprise ! Oui, en particulier par le regard et par soi-même (auto-érotisme). Notre construction psychique définit notre sexualité qui parfois ne peut se faire.
Quelques notes de cette conférence, "Le couple et sa sexualité" ; mes notes personnelles et un peu décousues ainsi.
À quoi tu penses ? Je pense au trou dans la mare qu'il faut vraiment que je bouche à présent. Il y avait le héron dedans ce matin et maintenant je ne vois plus la carpe koï ni aucun poisson rouge. Peut-être que ceux qui restent se cachent pour ne pas mourir. Et pourtant, j'ai bien vu le niveau de l'eau baisser au fil des premiers beaux jours, mais c'est comme si je cherchais ce que pourtant je redoute en ce moment. La perte, la disparition, la catastrophe… Dans la mare comme ailleurs.
Et ça n'a rien à voir a priori mais je pense aussi à cette femme qui m'a interpellé, l'autre soir, boulevard des Batignolles. C'était entre chien et loup et c'était le foutoir sur tout le boulevard. Je marchais, plongé dans mes pensées – je me demandais si le lambrusco avait toujours des bulles, je venais de perdre mon écharpe, etc –, et elle sortait soudain et à angle droit du Franprix.
D'habitude je me méfie des autres, mais là elle m'a appelé par mon prénom alors, forcément, je me suis arrêté. Parce que le prénom c'est comme un mot de passe, intime, originel.